Retour d’expérience sur l’activité d’une agence

La création d’une agence en opposition au système

C’est un ensemble de circonstances qui nous amenèrent, Julien, Bernard et moi (Sophie), à créer EXIT Studio. À l’été 2014, Julien et Bernard, alors web designer et développeurs web freelance depuis quelques mois, décidaient de lancer leur propre activité afin d’avoir un nom et une identité visuelle à présenter aux clients. De mon côté, project & account manager web insatisfaite de la majorité de mes expériences précédentes, j’y voyais une opportunité de construire une structure en accord avec mes aspirations. Nos ambitions étant partagées, et nos compétences complémentaires, démarrer cette activité ensemble nous apparut comme une évidence.

Le web étant un marché encore émergent en Belgique, il y a de l’argent à se faire. Le métier n’étant pas protégé (cela a ses bons et mauvais côtés), beaucoup d’opportunistes se lancent dans le secteur. Tous les trois avions été amenés à travailler dans des agences motivées par la recherche de profits. Mythe de la génération Y ou non, nous ne voulions plus évoluer dans un environnement où l’argent l’emporte sur tout le reste. Nous devions pourtant trouver du travail en pleine période de crise.

C’est sur cette base que nous nous sommes positionnés en rupture avec le modèle actuel de l’entreprise et ses nombreux impacts (négatifs) sur la société, sur l’environnement et sur l’économie. Créer notre propre agence allait nous permettre de créer notre propre emploi, de nous émanciper d’un système qui ne nous convenait plus, mais aussi de réaliser un rêve.

Comme l’a dit le personnage d’Harry Lime dans Le Troisième Homme : « En Italie, pendant trente ans sous les Borgia, ils ont eu guerre, terreur, meurtres et massacres. Mais cette période a produit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, ils ont eu cinq-cents ans d’amour fraternel, de démocratie et de paix, et qu’ont-ils produit ? Le coucou ! ». Nul doute que la crise dans laquelle nous évoluons actuellement a poussé nombre d’entre nous à faire preuve de créativité à travers l’auto-entrepreneuriat.

La SMart (ASBL Productions Associées)

Il était (tout d’abord) hors de question de rentrer dans la spirale infernale de la dette, en contractant un prêt ou en faisant appel à des aides de l’État (qui allait, tôt ou tard, récupérer ses subsides à grands coups de taxations). C’est là que la SMart entre en jeu. La SMart (ASBL Productions Associées) favorise et soutient les activités artistiques exercées au projet, en mettant à la disposition des membres un outil de gestion administrative et financière. Les membres confient la gestion de leur activité et la SMart les accompagne dans toutes les étapes de leur projet. Il n’est donc plus nécessaire de créer ni gérer sa propre entreprise puisque la SMart coordonne les moyens financiers, matériels et humains.

La SMart constitue donc l’équivalent d’un avocat, d’un comptable et d’un conseiller personnel, avec la mise à disposition d’une interface en ligne nous permettant de gérer nous-mêmes nos contrats et prestations. Pour chaque bon de commande signé, la SMart nous verse à l’avance le montant total facturé, ce qui signifie que nous pouvons immédiatement bénéficier d’un revenu avant même que le client ne paie. En contrepartie de tous ces services, la SMart prélève 6,5% sur les montants facturés HTVA (ce qui me semble plus que très honnête).

La première société soeur à voir le jour a été SMart France, en 2008. Elle ouvre d’abord des bureaux dans les villes de Lille, Montpellier et Paris, puis suivent Clermont-Ferrand, Lyon, Marseille, Nates, Rennes, Strasbourg et Toulouse. La SMart s’est également implentée en Suède, Autriche, Allemagne, Espagne, Hongrie, Italie et en Hollande. Dans chaque pays, l’activité diffère en fonction des usages locaux, de la structuration spécifique des secteurs créatifs et des possibilités d’interventions offertes par les législations nationales. Les prélèvements pour les services rendus diffèrent donc eux aussi d’un pays à l’autre (6,5% en Belgique, 7,5% en Espagne et 8,5% en France). Soucieux de garantir davantage de protection aux travailleurs autonomes, la SMart cherche actuellement à acquérir le statut de coopérative européenne.

Nous sommes donc à la fois des entrepreneurs indépendants, avec le statut d’indépendant de salarié (en somme, une nouvelle catégorie de travailleurs, en balance entre ce qui est et pourrait devenir).

C’est ainsi que, dans la veine du « slow life » (contre-culture qui s’oppose au rythme effréné de la société actuelle), nous avons fondé notre agence – prêts à gravir les échelons en partant du bas de l’échelle – une boite porteuse de notre vision de l’entreprise de demain, et d’un futur souhaitable.

Le chemin du succès est toujours en construction

Nous avons consacré les premiers mois à la réflexion et à la création autour de notre propre identité. Nous partagions les mêmes valeurs et voulions proposer différents services de qualité, à différents niveaux de la chaîne numérique. Nous voulions également nous montrer attentifs aux clients, à travers une relation respectueuse et une communication efficace.

Le site fut lancé à la mi-septembre 2014, accompagné d’un blog d’articles de vulgarisation s’articulant autour de différentes thématiques du web. L’idée était d’améliorer notre référencement naturel mais aussi de faire valoir nos connaissances, tout en attirant du monde sur un site a priori statique. En plus du blog, nous nous sommes investis sur différents réseaux sociaux et avons optimisé le système de partage en souscrivant à HootSuite, un service de programmation de publications. Pour chaque projet, une « étude de cas » complète est réalisée afin de mettre en exergue les différents services dont a pu bénéficier le client. Cela nous permet de relativement bien nous positionner dans les résultats de recherche liés au projet.

Je me charge de la partie gestion de projet et relation client, ainsi que de la communication en ligne. Julien et Bernard se partagent le web design et le développement web. Un système fut mis en place afin d’uniformiser et d’optimiser la manière dont ils codent, afin que chacun puisse récupérer le travail de l’autre avec un maximum d’efficacité. Ayant plus de recul sur le projet, je me charge de la partie « test et debug » que je liste en une suite de sous-tâches dans Producteev, un outil de gestion de projet en ligne gratuit.

Sous Producteev, je crée un projet dès qu’une prospection a abouti et qu’une offre a été remise. Dans celui-ci, je crée des sous-tâches pour la gestion de projet, le web design, le développement web et enfin, l’étape de test et débogage. Cet outil est particulièrement utile lorsqu’il faut s’assurer d’une deadline, en cas de conflit avec le client ou encore en cas d’absence du gestionnaire de projet.

Je m’occupe des étapes préalables à la rencontre client puis nous nous rendons à deux ou trois à l’entrevue, et cela nous réussit fort bien. Le client ne rencontre pas un traditionnel commercial et cela le met en confiance. Qui plus est, chacun de nous contribue de sa propre expérience par rapport aux besoins et attentes du client. Nous avons ainsi déjà réalisé de beaux brainstormings.

Assurer la remise d’une offre le plus rapidement possible constitue, selon nous, un facteur de conversion important. Nous avons donc mis en place plusieurs offres types, selon qu’un devis doit être remis pour un site web, un site e‑commerce, l’optimisation du référencement ou encore la création d’une identité visuelle. Avoir tous les modules listés permet de supprimer aisément ce que le client n’a pas besoin (plutôt que d’ajouter du texte). Nous sommes ainsi en mesure de remettre une offre complète de type « cahier des charges » en deux à trois heures seulement.

Dans une entreprise classique, un rapport de force (sous la forme d’une hiérarchie pyramidale) s’exerce entre (ce que l’on appelle communément) les « managers » et « les techniciens ». Chez nous, bien que chacun ait sa spécialité, aucune décision, qu’elle soit artistique, managériale ou financière n’est prise seule. Pour exemple, il arrive souvent que Bernard ait le dernier mot sur un budget à remettre ou que je donne une direction artistique à un projet. Ainsi, nous fonctionnons sur une dynamique transversale, sur base du principe de l’intelligence collective.

Du point de vue du rythme, nous ne nous imposons pas de « quota d’heures de travail » mais sommes orientés résultat. Je suis assez efficace dans mon travail, et cela ne m’a pas toujours été bénéfique. En effet, soit on qualifiait mon travail de bâclé, soit je finissais par m’ennuyer ou me coltinais une charge de travail supplémentaire. A contrario, Julien est très méticuleux, il réalise un excellent travail de finition, mais il fonctionne de manière beaucoup plus lente. Être orienté résultat permet à chacun de nous d’organiser son temps de travail comme bon lui semble, pourvu que les délais soient respectés et le travail (bien) fait.

Le bilan

Aujourd’hui, cela fait un an et trois mois que notre studio existe. 80 % de notre clientèle est issue du bouche à oreille. Nous bénéficions (à ce titre) de très bons retours de la part de nos clients. À l’été 2015, nous avons pu investir dans du matériel performant, grâce aux méthodes de financement de la SMart. Enfin, au mois de novembre 2015, nous avons emménagé dans des bureaux (bien plus tôt que nous ne l’avions imaginé). Un bilan qui nous apporte pleine satisfaction, bien qu’il nous reste encore de la route à faire avant d’atteindre l’ensemble des objectifs que nous nous sommes fixés.

De cette presque année et demi d’entreprenariat, nous avons tiré quelques leçons. Bernard commencerait par vous dire : « trouvez-vous une Sophie ». Une Sophie (selon ses mots) c’est une personne en charge de toute la relation client, de la gestion de projet, et des aspects administratifs de l’activité. Cela permet aux web designers / développeurs de se concentrer sur les projets et de fournir un travail de qualité. Concrètement, cela équivaut au classique « à chacun son job ». Savoir s’entourer, être complémentaires au sein d’une même activité, cela permet de se concentrer sur ce qu’on aime faire et donc sur ce que l’on sait faire le mieux. J’ajouterai à cela : « soyez sur la même longueur d’onde ». Une équipe qui partage les mêmes aspirations avance de concert dans une même direction.

Savoir reconnaître qu’une part de chance participe de toute construction permet de se prémunir des coups durs. Remettez-vous régulièrement en question et portez toujours un regard critique sur tous les aspects de ce que vous faites. Car si l’entrepreneuriat est un chemin semé d’embûches, la réussite est l’accumulation d’échecs, d’erreurs, de déceptions et de frustrations, et la volonté de continuer malgré tout. Dès lors, faites ce que vous aimez faire comme vous aimez le faire, et laissez la qualité de votre travail être votre porte-étendard.

2 commentaires sur cet article

  1. TOMHTML, le vendredi 1 janvier 2016 à 15:32

    Bel article ! Axé sur le positif et non pas sur les contraintes d’une telle aventure, ça change :)

  2. Véronique Kiedrowski, le mardi 12 janvier 2016 à 14:01

    Bonjour,
    Article très intéressant et merci pour le coup de pouce SMart !
    Véronique
    SMart Lyon