Cauchemars connectés

Je m’appelle Sophie, je suis sourde profonde de naissance. Je lis sur les lèvres et je parle. 

7 h 30 du matin, j’attends une livraison d’un grand site internet. Mes sens sont à l’affût, je surveille ce qui peut atterrir dans ma boîte mail ou faire sonner mon interphone, mon portable, mon téléphone fixe, sait-on jamais.

8 h 30, je rentre vite de l’école où j’ai déposé mon fils, en espérant que le livreur n’est pas encore passé.

Je regarde mon téléphone portable, il y a bien eu un appel en absence. Pas de chance, c’est un numéro masqué. Je ne peux donc pas recontacter mon interlocuteur.

Grâce au suivi des colis du site internet, je peux tracer le colis en temps réel à quelques heures près. Je me reconnecte sur mon compte, je vois que le livreur est passé, mais il n’y a qu’un pauvre numéro de téléphone. Pas très pratique pour moi qui ne peux pas téléphoner. Dépitée, je passe par mon conjoint qui reprendra rendez-vous pour moi.

J’ai perdu du temps avec cette livraison, je pars en rendez-vous. Je checke, comme à mon habitude, avec l’application RATP, pour être certaine que je ne vais pas rater mon RER. Tout va bien, j’arrive sur le quai, et… Pas de RER. Première annonce vocale, je ne dis rien. Deuxième annonce vocale, ça commence à m’agacer, je ne sais pas ce qu’il se passe. Personne sur le quai, je checke mon compte Twitter pour vérifier ce qu’il se passe.
Car l’application RATP, c’est pratique, mais pas toujours au point en termes d’infos de dernière minute. Je lance twitter, #qml et #rerA et j’obtiens les infos que je voulais. Rassurée, je prends mon mal en patience.

Arrivée à Paris, je connais pas le lieu exact du rendez-vous, mon contact n’a pas été très précis. Je regarde le plan sur mon téléphone. Heureusement que j’ai de l’internet sur ce mobile ! Ce téléphone est mon allié dans ces moments ! J’arrive à l’adresse indiquée grâce à mes plans et ma connexion internet, pour me retrouver nez à nez avec… un interphone.

Un outil insignifiant que je déteste… Qui me met toujours dans l’embarras.

Je vois un ascenseur parisien, celui qui est tout riquiqui, où tu peux monter toute seule, et pas une personne de plus. Je monte, et là, l’ascenseur, au lieu de monter péniblement, s’arrête entre deux étages. J’essaie de redescendre au rez-de-chaussée, de monter à l’étage suivant. Rien à faire. J’appuie sur le bouton d’alarme, ce bouton qui a bien la transcription en braille, mais rien d’autre que le téléphone pour être en contact avec la société de dépannage.

J’attends, histoire de voir si ça se débloque, s’il y a le moindre son qui sort de ce foutu haut-parleur.

15 minutes ont passé. Toujours enfermée dans cet ascenseur mono-place, j’essaie de prévenir mon contact par mail. Pas de chance, le réseau ne passe pas très bien. Dans ces moments-là, j’essaie de ne pas m’énerver et de trouver des solutions alternatives. Je re-tente ma chance sur le bouton de dépannage, tant pis si ça les agace parce que personne ne parle dedans ou que ça ne correspond pas a ce qu’ils peuvent attendre. En attendant, j’essaie de faire partir mon message à destination de mon contact.

Je peux enfin envisager une issue de secours en voyant mon contact arriver suite à mon message de dernière minute. Je lui envoie le numéro de téléphone de la cabine, et il se débrouille pour me faire sortir de là.

Après toutes ces émotions, le rendez-vous a bien eu lieu avec du retard.

Une fois mon rendez-vous terminé, j’apprécie de pouvoir me poser dans un starbucks pour justement profiter de la connexion wifi qui est gratuite. C’est un bon plan pas cher pour être connecté à Paris.

Un déjeuner avec des amis est prévu, je décide de réserver une table. Je passe par le site de la fourchette, et je choisis un restaurant où je peux passer ma réservation en autonomie totale comme une grande.

Je me fais tirer mon sac à main, il ne me reste plus que mon téléphone en poche.

Je pars faire une déclaration de vol dans un commissariat parisien, en essayant de communiquer du mieux que je peux, car ils sont pas toujours sensibilisés au handicap, les prévenir que je n’entends pas, qu’il faut me regarder en face pour me parler, articuler un minimum pour que le dialogue soit à peu près correct.

Je vais pour rentrer chez moi en RER… Le trafic est interrompu !

Décidément, je décide de prendre un taxi, j’essaie de réserver sur mon téléphone à travers une application prévue pour. Tous les taxis sont pris d’assaut.

Il ne me reste plus qu’à commander un Uber, un service de voiture privée avec chauffeur. Certes plus cher qu’un taxi, mais efficace. Je réserve, ils me confirment ma réservation par SMS. Chose que j’apprécie beaucoup, je reçois un SMS lorsqu’il arrive pour que je puisse l’identifier rapidement. Je monte dans la voiture, pendant le trajet je finis d’envoyer deux trois informations, arrivée à destination, je valide la course par le biais du mobile du chauffeur. Pas besoin de sortir ma carte bleue, je peux rentrer chez moi me coucher !

Tout cela mis bout à bout, c’est incroyable, mais tous ces événements me sont déjà arrivés.

L’Internet, c’était une chance pour moi quand j’avais un ordinateur pour pouvoir communiquer et travailler.

Le smartphone est un objet magique, même si je n’utilise pas la fonction téléphone.

L’Internet sur mobile, c’est vraiment une révolution dans l’autonomie !

Que cela soit pour des sourds ou des aveugles (voir l’excellent blog de Tanguy Lohéac), ce petit objet que vous considérez souvent comme un gadget de geek, moi c’est mon meilleur ami.

6 commentaires sur cet article

  1. Nicolas Chambrier, le samedi 15 décembre 2012 à 14:04

    Merci beaucoup pour ce témoignage, qui nous rappelle qu’il y a aussi encore du chemin à parcourir !

    Concernant ton meilleur ami, j’espère que tu as toujours une batterie de secours avec toi :P

  2. Jojaba, le samedi 15 décembre 2012 à 17:35

    Merci pour ce témoignage qui m’a touché (même si c’est un condensé de ce qui t’es arrivé). Ça nous remotive à proposer des ressources accessibles à tous (c’est loin d’être facile, mais nous ferons des efforts de notre côté également). Nous avons tellement l’habitude de notre autonomie qu’il est parfois difficile de se rendre compte ce que cela représente d’y accéder autrement et surtout en restant dépendant de technologies qui sont loin d’être toujours aussi accessibles que tu nous le présente. :)

  3. Benoît WERY, le lundi 17 décembre 2012 à 13:09

    Témoignage très intéressant, j’avoue que si j’applique les règles classiques d’accessibilité quand je crée un site, je n’avais jamais vraiment réfléchi à la façon dont mes prods sont perçues. J’ajoute ton blog dans ma liste « a suivre » !

  4. Christophe_Cl, le jeudi 20 décembre 2012 à 19:24

    J’adore ! Sophie : je t’appelle sur ton meilleur ami pour te le dire :)

  5. david Degliame, le dimanche 30 décembre 2012 à 14:52

    Bonjour,
    Personnellement, je ne suis pas encore totalement a l’aise avec l’accessibilité, hormis quelques règles basiques, mais je me soigne de plus en plus :)
    Ce qui m’a le plus frappé dans ton récit n’est pas forcément le manque de solutions, mais plutôt de voir que certaines choses peuvent difficilement avoir de solution pour tous les handicaps. Le coup du téléphone ou de l’interphone, voir même dans l’ascenseur, m’interpelle car ces situations nous isole vraiment et nous font sentir idiots, que l’on a un handicap ou pas d’ailleurs…

  6. cyberbaloo, le lundi 7 janvier 2013 à 11:48

    @Nicolas J’ai effectivement une batterie de secours au cas où ;-)
    @jojaba l’important est de montrer les lacunes, et pouvoir y pallier en toute autonomie, c’est l’essentiel :-)
    @benoit c’est gentil :)
    @christophe_CI t’as perdu le numéro de mon meilleur ami ;-) ?