Le travail c’est la santé
Que feriez-vous si vous aviez une lourde maladie et que personne à votre bureau n’était au courant ? Peut-être, comme-moi, feriez-vous votre coming out sur 24 jours de web.
Depuis une dizaine d’année, j’exerce le métier passionnant de Directrice artistique/designer graphique dans la réalisation de site web e‑commerce, d’applications mobiles, de site corporate, de jeux ou de publicité sur la toile.
Trouver la bonne orientation graphique, la bonne police, le bon visuel, les bonnes couleurs en fonction d’un objectif commercial précis à atteindre, en évitant scrupuleusement l’appréciation lapidaire « j’aime/j’aime pas ». Un vrai challenge.
C’est un métier qui nécessite une remise en question perpétuelle afin de se renouveler créativement parlant. En travaillant en agence, on passe vite d’un secteur d’activité à un autre. J’ai la sensation d’apprendre tout le temps et c’est agréable d’avoir cette sensation d’avancer.
Le graphisme, c’est un métier de passion !
Il n’ y a rien de plus vrai. Ce métier exige de tout regarder avec attention (même pour des gestes ordinaires comme acheter un paquet de céréales) et un investissement total. Alors quand on sort de l’école, on serait prête à n’importe quoi pour faire ses preuves ! Comme bosser gratuitement par exemple ! Si, si !
C’est dans une parfaite candeur, le sourire béat que j’ai accepté de travailler comme « stagiaire » non déclarée dans une des boîtes de web les plus reconnues.
Pas de souci de santé à l’époque, je pouvais travailler jusque 23 heures voire plus, la volonté chevillée au corps, dans l’humilité la plus complète sans la moindre indemnité.
En revanche, le jour où l’on remporte un appel d’offre et qu’on reste la « stagiaire du placard », la pilule devient difficile à avaler. Cette situation intenable m’a conduite à aller voir 100 mètres plus loin chez le concurrent, de l’autre côté du trottoir.
La semaine suivante, je travaillais chez eux, en CDI.
Montant en grade, dans une ambiance de travail digne d’une startup, mes conditions de travail n’avaient pas changées : j’avais la gratification de remporter des appels d’offres, des clients heureux, la reconnaissance de mes collègues et le privilège de partir du travail parfois à 2 heures du matin.
Quelque temps plus tard, future maman, rien n’avait bougé. Avec de gros soucis, très vite, les médecins m’ont interdit d’aller au travail sous peine de perdre l’enfant. La passion a ses limites.
Entre temps, on m’avait diagnostiqué une dizaine d’allergies alimentaires potentiellement mortelles dont le blé, l’œuf et le lait, avec à la clef plusieurs hospitalisations en urgence.
Si tu veux faire ce qui te plaît, installe-toi à ton compte !
À mon retour de congé, on me fit rapidement payer cet écart : l’équipe avait changée ; rétrogradée de fait, je dû à nouveau faire mes preuves et redoubler de professionnalisme pour qu’on me confie à nouveau des projets intéressants. Dégoûtée, je partis quelque temps plus tard avec trois autres collègues pour fonder ma propre boîte. Après l’euphorie des débuts et pas mal d’illusions perdues, on se rend compte assez vite qu’avec des enfants en bas âge, la situation ne va pas tenir. Ayant laissé mes associés continuer sans moi, je rentrais dans LA boîte de web où il fallait être.
Le cocon
On dit souvent que le milieu du web et de la communication, c’est un milieu de requin, sans pitié, jeuniste, où les vieux n’ont pas leur place et où les gens n’ont pas de famille.
Pas dans cette boîte là. Dans un contexte idéal et un professionnalisme à toute épreuve, je progressais rapidement au contact de gens compétents, sympas et leaders dans leur domaine ! Un deuxième enfant ? Pas un problème. Un rendez-vous chez le médecin ? C’est pas un souci. Waouh.
La spirale infernale
Dans ce contexte idyllique, je m’aperçois un soir que j’ai un « trou » dans mes cheveux, une petite partie lisse. Après un traitement ad hoc, ça repousse. Ouf !
Malheureusement dans les deux années qui suivent, cette maladie n’aura de cesse de revenir toujours plus forte pour devenir définitive. Je n’ai actuellement plus un seul cheveu.
À mon travail, malgré la gentillesse des gens, tout le monde se sentait gêné et personne n’osait m’en parler. On a beau se dire que c’est pas de leur faute, l’entourage a un mal fou à comprendre la maladie et on leur en veut. D’autant que ma maladie n’a pas de nom, elle fait partie des maladie dites « rares » : tout le monde croit alors que ta maladie est psychosomatique. Entendu 1000 fois : « c’est le stress ! ».
Après un gros coup de mou, je me bouge le cul : traitement lourd sous chimiothérapie. Ça marche, mais le traitement provoque chez moi l’effet d’une grosse grippe par semaine et une nausée éternelle. Par fierté, je vais quand même au travail ce jour là, pas question d’être en arrêt maladie, mon boulot continue de me passionner et j’ai peur qu’on me mette de côté. Ça durera 9 mois et ce traitement sera un échec au final.
Ça remet les idées en place
Après avoir écarté définitivement l’option psychosomatique (la psy a trouvé que j’étais en parfaite santé mentale), je revois mes priorités :
- Solution 1 : Pleurer dans mon lit H24 en regardant « Plus belle la vie » (on passe forcément par là, mais ça ne dure que quelques jours)
- Solution 2 : Sauter par la fenêtre (figurez-vous que j’habite au rez de chaussée)
- Solution 3 : Quitter mon boulot pour aller au bout du monde (pour quoi faire ? et pour aller où ?)
- Solution 4 : Accomplir tous mes rêves et mes passions pour le temps qu’il me reste (et si cette putain de maladie m’aidait à apprécier la vie à sa juste valeur ?).
Pour un tas de bonnes raisons, je déménage finalement à Nantes, près de ma famille, où j’ai trouvé un job intéressant dans une belle petite agence web.
Retour à la case départ
La maladie s’aggrave : en plus des cheveux disparus, atteinte des ongles, des gencives et surtout de la peau, de la tête au pieds.
Un ami médecin m’indique un spécialiste des maladies rares.
Le verdict tombe : maladie auto-immune avec atteinte de l’ensemble des phanères (Les phanères sont des productions issues de l’épiderme. Chez l’Homme, les principaux phanères sont les cheveux, les poils, et les ongles. Merci Wiki). Mes allergies alimentaires ne sont qu’un simple « bonus ». La maladie est génétique, d’origine familiale. Pressée par l’urgence, je suis en catastrophe un second traitement, lourd, sous immunosuppresseur (une chimiothérapie, encore) avec des maux de têtes et des nausées horribles. Le but étant de stopper l’évolution fulgurante.
Une discrétion à toute épreuve
Évidemment, à mon nouveau bureau, personne ne sait rien. Malgré la pression quotidienne, sous ma chevelure amovible, l’illusion est parfaite. Pour mettre toutes les chances de mon côté, et par peur d’être jugée, je n’ai rien dit. J’ai envisagé toutes les options :
- J’aurais pu le dire direct à l’embauche : oui mais l’employeur aurait eu peur d’embaucher une petite malheureuse, psychologiquement perturbée, perpétuellement en congé maladie et se plaignant à longueur de journée. Bien sûr c’est totalement faux, mais j’ai eu peur de ça.
- Je réunis mes collègues de manière officielle et hop ! je l’annonce ! Je n’en ai pas eu le courage. J’ai horreur qu’on me prenne en pitié. Avoir des regards de chiens battus toute la journée braqués sur moi, non merci.
- Je le dis à deux ou trois collègues de confiance, dont les qualités de discrétion ne font aucun doute. C’est ce que j’ai fini par faire, sinon, j’allais exploser.
Finalement, un ami, auteur de ce site et ancien associé m’a offert la solution sur un plateau d’argent en me proposant de publier cet article. J’invite les collègues qui le liront à venir m’en parler de vive voix !
Au final, qu’est-ce que cette maladie a changé pour moi ?
J’arrive à prendre plus de recul sur les obstacles du quotidien. A quoi bon se prendre la tête pour une simple date de rendu alors que l’on peut la repousser de quelques heures en discutant simplement avec le client, pour un rose qui n’est pas assez rose ou pour un steak pas assez cuit. Bref, j’ai appris à me recentrer sur l’essentiel.
Et puis bizarrement, je me sens plus vivante, j’ai envie de développer ma manière de m’exprimer en m’étendant sur tous les supports !
17 commentaires sur cet article
Sonia, le jeudi 19 décembre 2013 à 06:57
Ma Nono, tu es la femme la plus courageuse que je connaisse.
A très bientôt, gros bisous
Francois, le jeudi 19 décembre 2013 à 08:10
Bonjour Noémie,
Voilà un article ou je n’ai pas appris grand chose techniquement… :) mais qui est touchant et intéressant, donc c’est une bonne chose que vous ayez pu vous exprimer sur le site de votre ami si vous en ressentiez le besoin.
Beaucoup de courage contre la maladie, gardez la pêche, et bon webdesign !
Gaël Poupard, le jeudi 19 décembre 2013 à 09:36
Le graphisme — parmi d’autres — est effectivement un métier de passion (pour ceux qui en sont passionnés). Et même si c’est dans l’adversité qu’on se découvre un courage inédit, la passion seule ne suffit pas pour « adhérer » à son métier comme vous l’avez fait.
Votre article m’a fait un bien fou : j’admire votre conclusion et votre honnêteté est extrêmement rafraîchissante. Merci beaucoup d’avoir partagé cette expérience hors du commun avec nous !
Freg, le jeudi 19 décembre 2013 à 09:56
Coucou Noémie,
Félicitations pour ton courage face à ta maladie et pour ton récit qui je l’espère pourra aider d’autres personnes dans ton cas (et qui en ressentent le besoin) à en parler autour d’eux aussi. J’espère également que cela aidera ceux qui prennent trop à cœur les petits tracas du quotidien à mieux apprécier leur bonheur en relativisant plus encore les petits soucis qui n’auront aucun impact sur leur vie à moyen et long terme. Lorsque je fais face à un souci, j’essaye toujours de me projeter dans le futur en me disant « Est-ce que cela va changer quelque chose dans ma vie ? » et je me dis aussi « Tiens je pense que xxx ou encore xxx… seraient bien heureux d’échanger leurs gros soucis contre celui-ci ». xxx étant des amis ayant des problèmes de santé comme toi, des amis qui font face à l’injustice de la vie, pour qui je ressent beaucoup de compassion et qui m’aident aussi à mieux apprécier mon bonheur.
Gros bisous et merci pour ce beau récit
Vandenabeele Fabien, le jeudi 19 décembre 2013 à 09:56
Hello Noémie,
Il y a effectivement des choses simples de la vie que l’on fini par oublier. Il est bon et important de garder cela en mémoire et de se le répéter très souvent : savoir recentrer les choses essentielles comme tu le dis si bien. Courage Noémie !
Benjamin, le jeudi 19 décembre 2013 à 10:55
Noémie,
On ne se connaît pas mais je suis dors et déjà sûr d’une chose à votre sujet : vous êtes aussi passionnée que courageuse, et pour ça, je ne peux que vous féliciter.
J’ai vraiment été touché par votre témoignage, sa sincérité, et la complexité de ces périodes « noires » que vous avez été amenée et êtes toujours amenée à traverser de manière aussi récurrente. Peut-être est-ce aussi parce que certains de mes proches ont été confrontés à la maladie, ou parce que j’évolue moi-même dans le web, ou bien les deux à la fois… Quoi qu’il en soit votre combat est admirable, autant que ces leçons de vie que vous en tirez.
Merci de les avoir partagés.
Bon courage !
Benjamin
Nico, le jeudi 19 décembre 2013 à 11:15
> Peut-être, comme-moi, feriez-vous votre coming out sur 24 jours de web.
Arf, c’est une idée :)
Pour ma part, je l’ai fait après un Paris Web dans un billet personnel http://www.nicolas-hoffmann.net/source/1507-Paris-Web-une-annee-ombre-a-lumiere.html
Soyons honnête : j’ai eu un « très gentil » cancer quand je vois ce que tu vis (tu me permettras de te tutoyer, même si je ne te connais pas :) ). Et il parait que j’ai pris ça bien, mais bon on s’en fout, c’est pas le sujet.
Néanmoins, je reconnais que toutes les questions que tu te poses, je me les suis posées aussi : quid du travail, de ma future employabilité, des personnes, des gens qu’on aime, etc. et fondamentalement, on est seul face à ça.
Le plus dur pour moi, ça a été de se dire : « tiens, je ne verrai peut-être pas mon gosse à tel âge » ou « si ça tourne au vinaigre, il ne se souviendra pas de moi ». Ça c’est vraiment très dur.
Le plus chiant, c’est de gérer les peurs ou la pitié que 10 000 personnes vont venir te balancer à la figure : quand tu prononces ces mots, ils s’excitent et projettent leurs peurs. J’ai passé plus de temps à rassurer des gens qu’autre chose. C’est même marrant quand on y pense : un cancéreux qui rassure des gens « qui ont peur pour ce cancéreux » ou qui voit des gens autour de lui se mettre sous anti-dépresseurs. Y a pas de jugement de ma part, mais quand on y pense, c’est vraiment le truc le plus (abs)con qui soit ! :-D
Le plus sympa, c’est qu’on se rend compte – si ça n’était pas encore le cas bien sûr :) – que chaque instant est du bonheur, que de s’écrouler (même si c’est un passage pour certains) ne sert à rien, car de toutes façons, autant ne pas perdre son temps et être « égoïste » en l’utilisant bien à faire ce qui importe.
Et après, on se rend compte effectivement que beaucoup de choses se relativisent : si je peux être capable de dire l’essentiel à mon fils en 15 lignes « au cas où ça tourne au vinaigre », alors le reste, je ne vois vraiment pas ce qui m’empêcherait de le faire. :)
Cabaroc, le jeudi 19 décembre 2013 à 11:54
Que dire si ce n’est bravo et merci pour ton témoignage.
Damien, le jeudi 19 décembre 2013 à 13:45
Wow ! Bravo pour votre courage ! Cet article est poignant et mérite d’être mis en avant pour aider d’autres personnes qui serait dans ce genre de position.
Un bel exemple !
Aurelien Foutoyet, le jeudi 19 décembre 2013 à 15:06
Salut Noémie,
Chouette article. Pas évident à gérer tout ça mais t’as l’air de bien mener ta barque. Quoi qu’on en dise, nous sommes toujours jugés par les autres : la maladie, le milieu social, le chemin de vie etc… Je comprends complètement ta décision de n’avoir rien dit jusque là (où avec parcimonie, à des collègues de confiance) et je suppose que ce « coming out » répond à un besoin d’être en phase avec toi même. C’est tout à ton honneur, tu ne seras jamais perdante dans cette histoire, quoi qu’il arrive.
Marie, le jeudi 19 décembre 2013 à 16:47
Merci pour ce beau témoignage. Il m’a beaucoup touchée !
Da Scritch, le jeudi 19 décembre 2013 à 17:04
J’ai été touché par ton billet.
Il rappelle que nous devons maîtriser une multitude de machines, mais que nous-même nous n’existons que par notre corps Et lui-même est une machine fragile
Tu es courageuse d’avouer publiquement ta maladie.
Et le dire ne devrait jamais donner un sentiment de honte ou de culpabilité : Tu n’es pas en faute, tu en es juste victime. Et cela pourrait arriver (ou arrive déjà ?) à n’importe lequel d’entre nous tous (exceptés les bots et I.A. qui nous lisent, coquinous)
Merci.
Nicolas, le jeudi 19 décembre 2013 à 22:24
Si je tenais à vous adresser mes encouragements, je voulais avant tout vous remercier ce témoignage. De votre parcours, chacun pourra en tirer quelque chose. Pour ma part cela me fait dire que si nous aspirons tous à être de bons professionnels pour notre épanouissement, cela va de pair avec le fait d’être un bon être humain, compréhensif et à l’écoute des besoins de chacun.
Nicholson, le samedi 21 décembre 2013 à 09:42
Bcp de courage, oui ce monde est dur professionnellement et humainement. Nous ne sommes jamais assez performant au taf alors dès qu’en plus il y a une épreuve (de quelques natures que cela soit) eh bien le rejet ou le regard des autres changent. Faire de son mieux est ce que tu as choisi et c’est la décision que j’aurai prise aussi. La souffrance physique et morale que tu subis face a cette maladie sont épouvantables et tu as un immense courage. Avoir mis enfin un mot sur cette maladie doit t’avoir aidé moralement. Il est dur de combattre un ennemi que l’on ne sait nommer. Fais de ton mieux chaque jour Noémie, si un tiers a un problème avec les effets secondaires de ta maladie, c’est son problème pas le tien, si tu as envie de dire la vérité dis la sinon tu t’en tiens a la réalité savoir une professionnelle de qualité qui a une vie privé comme tout un chacun. Puises ta force en tes enfants et ton époux qui t’aiment pour toi. Mes pensées vont vers vous. Amicalement severine
Noémie, le samedi 21 décembre 2013 à 11:10
Merci à chacun d’entre vous, pour vos encouragements face à ce difficile exercice que de parler de soi.
Seulement 2 jours que cet article a été publié, et déjà une immense retombée positive tant bien professionnellement que dans ma vie privée. Beaucoup de personnes sont venues me voir directement : je peux désormais en parler librement (outre le fait que je tiens désormais un standard téléphonique :-P).
Au moins, la prochaine fois que je serai confrontée à un problème « à s’en arracher les cheveux », je ne serai plus toute seule à rire (jaune) dans mon coin !
J’ai l’impression que je vais pouvoir aller de l’avant dans ma vie.
@ Nico : je viens de découvrir ton article très touchant également, de nombreuses similitudes effectivement.
Bref, encore merci à tous.
Fanny, le jeudi 16 janvier 2014 à 16:17
Au debut de ma lecture, je me suis dis « Bah mince ca parle pas du web ? ». Mais ta facon d’ecrire est tellement belle / naturelle, et ton histoire est tellement interessante que j’ai reussie a lire tout l’article !
J’adore la facon dont tu vois les choses, et ta conclusion. Et oui, pour nous tous (ou la plupart), le web / webdesign est notre passion, mais la sante avant tout !
Bon courage pour la suite et toutes mes felicitations pour ton article. J’ai adore.
Sophie, le dimanche 19 janvier 2014 à 12:40
Noémie,
je n’ai rien à ajouter et pas grand chose à dire, mais je tenais à te manifester mon admiration. Félicitation pour ton article, les gens passionnés et courageux son rare. Bonne continuation dans le monde pas toujours joli mais si intéressant du web et du design ^^ et encore bien du courage avec ta maladie :-).