Design poli

Les ordinateurs sont beaucoup plus que des outils mécaniques et passifs. Contrairement aux calculatrices qui ne font qu’accomplir ce qu’on leur demande, les ordinateurs ont des capacités très particulières, voire humanoïdes. Ils peuvent aider, se souvenir des informations, amasser des données, anticiper les actions, utiliser un langage simple et naturel et même faire des choix au nom de l’utilisateur. Ces habiletés anthropomorphiques créent une relation très fragile entre l’humain et la machine.

Blâmer l’outil

Lorsque je me cogne le pouce avec un marteau, je me traite de tous les noms. Je ne blâme pas l’outil, car ce n’est pas de sa faute si je l’ai mal manipulé. Cependant, si le marteau avait des airs humains et qu’il pouvait s’excuser, on assisterait probablement à l’émergence d’un phénomène inquiétant : le lancer du marteau.

C’est ce phénomène qui est observé avec les ordinateurs. Les utilisateurs ont tendance à blâmer les logiciels pour les erreurs qu’ils commettent eux-mêmes1. En tant que concepteurs et designers d’expérience utilisateur, cela signifie qu’il faut faire un effort supplémentaire pour faire preuve de politesse.

Rendre un logiciel ou un site Web poli pourrait sembler un peu ésotérique, voire inutile. Cependant, une étude sur un jeu de devinettes en ligne a démontré que si le logiciel s’excusait après une mauvaise réponse, en disant « Nous sommes désolés de vous avoir donné de mauvais indices, » alors les joueurs trouvaient ce jeu agréable. Beaucoup plus que lorsque le jeu disait seulement « Mauvaise réponse »2. La politesse, même lorsqu’elle est feinte, a donc un impact réel sur la qualité de l’expérience ressentie.

Moi, moi, moi, moi !

L’inverse de la politesse, c’est l’égoïsme. Tout comme un enfant qui ignore la queue, ou qui est incapable d’attendre son tour pour répondre au professeur, certains logiciels égoïstes agissent parfois comme s’ils étaient seuls sur votre ordinateur. Ceux-ci se donnent le droit d’être au premier plan, à chaque opportunité. Ils interrompent l’utilisateur dans son travail, souvent pour lui poser des questions qui ne sont pas urgentes. Ils s’emparent des ressources des ordinateurs, sans considérer les autres logiciels ouverts. Finalement, ils volent le focus des interfaces en obligeant les utilisateurs d’interagir avec eux avant de pouvoir poursuivre.

Interface de Google Calendar
L’Agenda de Google force l’ouverture de son onglet en premier plan.

Bonjour ! On dirait que vous écrivez une lettre. Voulez-vous de l’aide ?

Le maître incontesté d’impolitesse est sans aucun doute Mr Clippy. La simple mention de son nom est suffisante pour faire frissonner d’horreur la majorité des utilisateurs de Word. L’assistant personnel de Microsoft est pourtant né d’un mélange de bonnes intentions et de recherches sérieuses sur la réponse humaine aux interfaces anthropomorphiques3. Malheureusement, malgré 25 000 heures de tests utilisateurs, son retrait a fait partie de la stratégie publicitaire du lancement d’Office XP. Mr Clippy était particulièrement impoli car il espionnait les moindres faits et gestes et croyait savoir mieux que ses utilisateurs ce qu’ils voulaient faire. En plus de tout cela, il revenait même si on lui demandait de disparaître à jamais !4

Comme à la maternelle !

Si 25 000 heures de tests n’ont pas été suffisantes pour rendre un logiciel poli, que doit-on faire alors ? Lorsqu’on enseigne la politesse à un enfant, on lui dit qu’il faut lever la main, et attendre son tour. Pour un logiciel, cela veut dire qu’on doit demander la permission à l’utilisateur avant de l’interrompre. Si l’interruption est profitable uniquement pour le bon fonctionnement de l’application, il peut être très approprié d’attendre son tour et de ne pas occasionner de dérangement supplémentaire. Par exemple, les utilisateurs n’en ont souvent rien à faire d’être sur l’une ou l’autre des versions d’une application, et n’ont donc pas envie de procéder à la mise à jour immédiatement. Surtout lorsqu’ils souhaitent terminer la rédaction d’un appel d’offres qui est dû pour… hier. Les consoles de jeux sont particulièrement mauvaises pour gérer les mise à jour. Chaque fois que mon copain a une heure pour jouer à la Xbox, il la passe à regarder une barre de progression… Les consoles ne sont pas les seules coupables ; sur le Web, nous sommes souvent témoins de fenêtres modales qui interrompent l’utilisateur avant même d’avoir commencé sa lecture. Quelle indélicatesse !

Interface de mise à jour de Xbox One
Écran de mise à jour de la console Xbox One. Les choix : faire la mise à jour ou éteindre la console !

Offrir des choix

Demander la permission n’est souvent pas suffisant ; dans certaines situations, il faut aussi offrir des options. Une bonne pratique est de donner le choix à l’utilisateur de la façon dont ils souhaitent se créer un compte.

Préfèrent-ils se connecter par Facebook, Twitter, ou plutôt continuer comme invité ? Par ailleurs, offrez aux utilisateurs de compléter une action au moment qui leur semble le plus opportun. Par exemple : laissez le temps aux utilisateurs de consulter votre site avant de leur proposer une inscription à votre infolettre !

Le plus important dans tout ça, c’est que le choix des utilisateurs soit respecté. Par exemple, s’ils appuient sur « ne plus montrer cette option », ne revenez plus à la charge. Même si ce n’est pas idéal pour votre modèle d’affaires, il s’agit après tout de leur choix. Ignorer leurs préférences est très certainement la meilleure façon de les aliéner.

Fenêtre de mise à jour d'OS X
Un très bon exemple est la mise à jour des logiciels depuis Yosemite qui offre une option de snooze.

Considérations additionnelles

Finalement, votre interface ou votre site web doit s’assurer de respecter les principes de base de la politesse :

  • être aidant et non égoïste ;
  • faire preuve de transparence ;
  • être compréhensible ;
  • et respecter le choix des utilisateurs.

En suivant ces principes de base, vous mettez tout en place pour assurer une réponse émotive favorable de la part de vos utilisateurs.

  1. Miller, Christopher Allan (2004): Human-computer Etiquette : Managing Expectations with Intentional Agents. InCommunications of the ACM, 47 (4) pp. 30–61
  2. Tzeng, Jeng-Yi (2004): Toward a more civilized design : studying the effects of computers that apologize. In International Journal of Human-Computer Studies, 61 (3) pp. 319–345
  3. E. Lewis Perry, 2004. “Anthropomorphic Visualization : Depicting Participants in Online Spaces Using the Human Form,” at Yale University, 1995 at http://smg.media.mit.edu/papers/Perry/perry_thesis_2004.PDF
  4. E. Horvitz, 2004. “Lumiere Project : Bayesian reasoning for automated assistance,” at http://research.microsoft.com/en-us/um/people/horvitz/lum.htm.

4 commentaires sur cet article

  1. PierreTL, le lundi 15 décembre 2014 à 17:04

    La mise à jour des logiciels depuis Yosemite, pour moi c’est un très mauvais exemple car on peut certes demander un rappelle comme pour un snooze mais on ne peut pas dire stop je veut plus de rapelle ! Chaque jour, tu te tape la notification et tu n’as rien non plus pour la fermer en 1 clique, tu est obliger soit de faire la mise a jour ou de relancer le snooze…

  2. Cynthia, le lundi 15 décembre 2014 à 19:38

    Bonjour Pierre,
    Merci de prendre le temps de partager votre expérience avec les mise à jour Yosemite. Je suis d’accord avec vous ! J’aimerais aussi qu’il y ait l’option de « ne plus me le rappeler ». Cependant, nous assistons tout de même à une amélioration vis-à-vis d’autre systèmes d’exploitations et c’est digne de mention.
    Bonne journée !

  3. Christophe, le jeudi 18 décembre 2014 à 16:07

    Je prendrai aussi l’exemple de la Freebox player qui impose une mise à jour lors du démarrage (s’il en existe une).

    Je vois cependant une explication, et pas des moindres, pour forcer cette mise à jour (tout comme pour la Xbox probablement) : un fonctionnement en réseau qui impose une uniformité des logiciels clients. Aussi, on peut imaginer que les développeurs / designers de ces solutions imaginent que si on n’impose pas ces MàJ, personne ne les ferait.

    Une solution qu’on voit parfois sur certains logiciels (sur Mac OS notamment) : pouvoir choisir d’installer la mise à jour au moment du démarrage du logiciel, ou lorsqu’on le quitte (c’est le cas de VLC ou des logiciels de Panic Inc. notamment).

  4. tetue, le samedi 20 décembre 2014 à 11:55

    Bien vu ! Ça me rappelle ce site dont je critiquais le comportement de jalousie « comme si je n’avais pas le droit d’avoir une autre activité en même temps et que je devais me consacrer entièrement à la consultation de ce site » : http://romy.tetue.net/punkme