Le travail gratuit, c’est permis
Travailler gratuitement n’est pas bien vu dans nos métiers, pourtant ce n’est pas toujours une mauvaise idée. En dehors des concours bidons et des plateformes de crowdsourcing abusives, qui exploitent le savoir-faire des professionnels, il y a des cas où travailler sans contrepartie financière peut avoir des côtés positifs, et sans décrédibiliser la profession pour autant.
Quand on travaille dans les métiers de la création, il est déconseillé de travailler gratuitement. C’est considéré par les confrères comme inéquitable envers la concurrence, ça dévalorise le métier aux yeux des clients et ça ne permet pas d’en vivre. On pourrait ajouter qu’accepter de travailler gratuitement c’est considérer que votre travail n’a pas de valeur, et que, comme le dit Seth Godin, vous ne croyez pas assez en ce que vous faites. Dans l’esprit des gens avec qui vous travaillez, vous développez alors une image, au mieux, bas de gamme, au pire, amateur.
Et pourtant, soyons honnête, tout le monde à déjà travaillé pour des clopinettes ou rien du tout. Moi-même, il m’arrive régulièrement de travailler bénévolement. Attendez, avant d’aller chercher vos fourches ! Il y a des cas où travailler gratuitement peut être bénéfique pour votre carrière ou votre enrichissement personnel. Mais alors dans quel cas peut-on travailler gratuitement ?
Le geste commercial
Quand on travaille avec un client qui vous confie régulièrement des missions, on peut occasionnellement lui offrir certaines prestations. L’idée n’est pas de bloquer deux semaines dans votre planning pour travailler à perte. Mais plutôt de réaliser à vos frais certaines petites missions qui ne vont pas forcément vous prendre beaucoup de temps et qui montreront que vous appréciez la confiance que vous accorde votre client, depuis plusieurs années. Ça peut être une modification sur son site internet ou la mise à jour de son CMS, le tout est de rester proportionnel à la masse de travail qu’il vous confie habituellement. Ça participe à rendre une relation durable et de qualité.
Les limites
Certains clients vous demandent de leur offrir certaines prestations au premier contrat, sous prétexte qu’ils vont vous confier plein de projets par la suite. Si vous entendez ce genre de discours, il y a de fortes chances qu’il s’agisse juste d’un argument commercial pour vous faire baisser vos tarifs, mais sans aucune garantie derrière. Ne faites pas de cadeau au premier contrat si vous n’avez aucune vraie garantie d’avoir un retour par la suite.
Les Workshops
Les workshops sont des ateliers qui regroupent sur un temps limité, des professionnels ou étudiants, pour échanger des idées, expérimenter et produire des prototypes. Les participants sont bénévoles la plupart du temps. Un workshop est l’occasion d’améliorer ses compétences en testant des choses que vous n’auriez pas le temps de tester habituellement. Il n’y a pas d’enjeu particulier ou de risque de décevoir un client, ce qui donne la liberté d’essayer des choses nouvelles et pousser vos réflexions jusqu’au bout.
Les limites
Si vous avez l’impression que le workshop valorise plus les organisateurs que les participants, méfiez-vous. Bien que le la plupart des workshops prônent un état d’esprit collaboratif et de partage, certaines entreprises détournent ce concept sous couvert d’une posture tendance pour récupérer des concepts innovants à moindre coût. À l’instar des hackathons de plus en plus dévoyés par ce type d’opérations marketing. Renseignez-vous sur les raisons qui poussent les organisateurs à faire un workshop avant de vous lancer.
Les créations non sollicitées
Plutôt que de participer à des concours de création pour des multinationales, qui vous donneront l’illusion d’une gloire éphémère, vous pouvez travailler sur un projet qui vous tient réellement à cœur, et que vous aurez choisi. La refonte d’un site que vous trouvez mal conçu, la création d’une app pour un service novateur qui n’existe pas. Le fait de travailler pour un projet personnel vous impliquera beaucoup plus. C’est parce que personne ne vous aura demandé de faire ce travail que vous le ferez pour les bonnes raisons, améliorer le quotidien des gens plutôt que rechercher la notoriété. Les créations non sollicitées sont un bon exercice pour les jeunes professionnels qui n’ont pas encore beaucoup de références.
Les limites
Si vous faites une création non sollicitée dans l’unique but d’avoir de la notoriété, vous prenez le risque de produire de belles images tendance, mais avec un fond un peu vide. Vous pouvez en revanche travailler spontanément sur le projet d’un client que vous avez des chances de séduire, et qui vous embauchera pour votre travail. Améliorer l’interface des bornes de vélos en libre-service de votre ville aura plus d’impact, que de refaire le design de Facebook, qui vous apportera juste des like sur Dribbble.
Les expositions
Exposer son travail dans des événements, du type salons ou biennales, est une manière de développer son réseau grâce à une importante visibilité. Vous n’avez pas à faire l’effort d’un démarchage traditionnel, car un client potentiel viendra vous chercher si votre travail l’intéresse. En revanche, cela peu prendre du temps. Entre la constitution du dossier d’appel à projets, le séjour sur place durant l’événement, et le temps supplémentaire que vous pouvez prendre si vous produisez un projet spécifiquement pour l’occasion. Mais en général, le jeu en vaut la chandelle, car c’est l’opportunité de se faire de nombreux contacts et d’enrichir votre pratique en confrontant votre production à celles de vos confrères.
Les limites
Attention à ce que la préparation de l’exposition ne monopolise pas toutes vos journées et prenne le dessus sur vos tâches principales.
Les conférences
Comme pour les expositions, participer à des conférences en tant qu’orateur est l’occasion d’étendre son réseau professionnel et de créer des opportunités de projets. Même si certains orateurs stars sont payés pour leurs prestations, une grande majorité le fait gracieusement en échange du défraiement pour le trajet et de l’hébergement. Là encore, ça ne coûte que du temps, mais il peut être conséquent car préparer une conférence n’est pas de tout repos.
Les limites
Si des gens prennent le temps de venir vous écouter, il est important de ne pas négliger la qualité de votre présentation, c’est votre image de professionnel qui est en jeu. Pensez donc en priorité à ce que vous allez apporter aux autres. De la qualité de ce que vous partagerez dépendra l’image que vous véhiculerez.
Projets personnels
Beaucoup de professionnels ont dans leurs tiroirs des projets personnels qu’ils développent sur leur temps libre. Bien qu’il existe un certain nombre d’aides pour financer ce genre de projets, n’allez pas vous interdire de prendre sur votre temps pour réaliser ce projet qui vous tient à cœur depuis plusieurs années. Si c’est une bonne idée et qu’elle est bien réalisée, ça pourrait être un accélérateur dans votre activité, en valorisant vos compétences.
Les limites
Un projet personnel peut devenir chronophage au point de se transformer en activité principale. Si ce n’est pas ce que vous souhaitez, préservez du temps dans votre planning pour vos clients au risque de ne plus pouvoir répondre à leurs demandes. De plus, vous pouvez fatiguer à mobiliser vos heures sur un projet qui ne vous permet pas de vivre à court terme.
En conclusion
Nous l’avons vu, travailler gratuitement, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Ça peut être l’opportunité d’étendre ses compétences, d’accroître sa visibilité et de développer sa carrière. Mais ces arguments servent trop souvent d’excuses à des commanditaires pour demander à des professionnels de travailler sans rémunération. Réfléchissez donc bien à tous les aspects avant d’offrir vos services. Et posez-vous la question : pourquoi est-ce que j’accepte de travailler bénévolement ? Si c’est parce qu’on vous le demande, que vous manquez de contrats ou que vous cherchez la gloire, ce n’est probablement pas pour de bonnes raisons. À terme, vous risquez de vous épuiser à la tâche. Malgré tous les projets que nous sommes tentés de faire gracieusement dans notre vie, c’est le fait de vivre de sa profession qui nous donne l’énergie de continuer. Travailler gratuitement est un choix qui ne se fait pas à la légère et qui en aucun cas ne doit devenir votre activité principale sous peine de vous écœurer de votre métier.
8 commentaires sur cet article
STPo, le samedi 20 décembre 2014 à 09:50
J’en ajouterais un : le bénévolat tout court. Pour une cause chère, de façon pleinement désintéressée et sans calcul. Les attentes de retombées en terme d’image ou de visibilité c’est bien, mais il n’y a pas que ça dans la vie…
Nico, le samedi 20 décembre 2014 à 10:31
+1 STPo : un simple coup de main sans calcul, c’est bien aussi.
Et des fois, il y a quand même des retombées en plus d’avoir fait une bonne action, et elles sont d’autant plus savoureuses parce que vous n’attendiez rien.
S’investir dans quelque chose qui vous dépasse (une cause plus grande que vous notamment), ça aide aussi. Y a rien qui ne me débecte plus que les actions toujours calculées : d’une vous attendrez quelque chose et vous serez forcément frustré, de deux si vous vous posez autant de questions, vous n’avancerez pas.
Un peu de spontanéité que diable !
Exirel, le samedi 20 décembre 2014 à 10:45
Comme le dit STPo, et le bénévolat tout court ? Les projets libres ou open-source ? Les petites associations auxquelles ont participe ou auxquels ses enfants participent ? L’open-data ? Les meetup locaux à 15−20−50 avec des mini conférences ?
Il y a tellement d’occasion de faire du travail « gratuit » (que cette expression est laide d’ailleurs lorsqu’elle est décrite dans cet article).
Emmanuel, le samedi 20 décembre 2014 à 11:38
Et le don de soi (le travail gratuit, le bénévolat) représenterait apparemment « 3,5% du P.I.B., autant que l’agriculture et l’industrie agroalimentaire » http://www.cles.com/chronique/pour-la-bonne-cause
mickael, le samedi 20 décembre 2014 à 16:55
J’ai fais l’illustration du header de ce site…bénévolement. Et ce fut un plaisir de le faire pour Rémi :)
Cabaroc, le samedi 20 décembre 2014 à 18:42
Pardonnez-moi, j’entends bien vos commentaires, mais pour moi ils sont un peu hors sujet par rapport à mon propos. Le bénévolat, aider un ami, l’investissement dans des associations, ne sont pas des actions que j’appellerais du « travail gratuit ». On est dans une autre thématique, plus personnelle certainement que je n’aborde pas ici.
Je parle ici de comment développer son activité professionnelle. Je croise beaucoup de freelances débutants un peu perdus qui me demandent comment trouver leurs premiers contrats ou comment avoir une activité assez régulière pour en vivre. Vouloir vivre de son travail, pour soi ou sa famille, c’est quelque chose qui est respectable. Mais quand on y arrive, on peut vite oublier que beaucoup d’autres galèrent.
De plus, cet article se place dans un contexte ou régulièrement, la communauté des graphistes s’agace de voir le métier dénaturer et paupériser par de nombreuses tentatives pour exploiter malhonnêtement leur force de travail. Récemment, la lettre ouverte « travail gratuit » adressée à Axelle Lemaire en est la représentation la plus marquante.
Ce climat tendu laisse penser, si on lit un peu vite les différentes revendications des professionnels, qu’on ne devrait pas travailler gratuitement. Que c’est quelque chose d’un peu honteux, qu’on est une sorte de « collabo » aux business sans scrupules (cf. Wilogo et autres Creads). Ce que je dis, c’est justement l’inverse. Ce n’est pas mal d’offrir sa force de travail, mais ça dépend de comment on le fait.
Sébastien, le lundi 22 décembre 2014 à 14:31
Justement Cabaroc, je pense que ce n’est pas tout à fait hors-sujet. Le point que je pense on peut réellement mettre en avant, c’est le travail sur des projets FOSS (Free and Open-Source Software), qui sont souvent voire tout le temps en manque de graphistes.
Proposer ses prestations sur ce genre de projets sera toujours énormément bienvenue, et apportera de la visibilité. Imagines : une des rares app FOSS avec de vrais reflexions sur l’ergo, le design, l’IA, etc.
C’est du vrai travail, qui sert de vrais projets – même si c’est bénévole –, et ces travaux ont je pense autant de valeur que des contrats payés, au même titre que les workshops/hackathon et conférences.
Cabaroc, le lundi 22 décembre 2014 à 16:46
Là dessus je suis d’accord, et c’est clair que sur ce type de projet, le graphisme fait souvent cruellement défaut. Je pense à Framasoft notamment.