Travailler ensemble

Deux chatons qui travaillent ensemble

Si l’on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas ses collègues non plus. Et pourtant, si l’on peut choisir de ne pas prendre de nouvelles de l’oncle un peu lourd ou du cousin avec qui on n’a rien en commun, il est plus compliqué d’ignorer des personnes avec qui l’on est censé accomplir des choses au quotidien.

L’humain avant tout

Le recrutement tel qu’il existe aujourd’hui, s’il est très centré sur les compétences, l’est beaucoup moins sur la personnalité. Les recruteurs, de façon générale, cherchent des profils pour leurs besoins concrets : ils engagent des ressources avant d’engager des gens.

Malheureusement, peu ont conscience que la composante « humain » reste majeure : les compétences peuvent s’acquérir et s’affiner, alors qu’il est difficile de changer une personnalité.

Une équipe, c’est aussi puissant que fragile : on peut réaliser de très belles choses à plusieurs, mais une seule personne peut suffire à rompre un équilibre qui pouvait pourtant sembler très solide. Ainsi, recruter un candidat dans l’urgence et uniquement pour son CV est bien souvent un choix qui se paie a posteriori, et qui peut mettre en danger bien plus que son propre poste. Turnover, mauvaise ambiance, mauvaise communication : ça peut vite tourner au vinaigre.

Évidemment, c’est la même chose pour le travailleur indépendant.

Voici un scénario plutôt classique : c’est l’histoire de Sam, un designer vachement cool, missionné pour réaliser le design du site de Bizzeo, une start-up qui bootstrapait jusque-là et qui a maintenant assez d’argent pour se payer un designer. Son seul interlocuteur est son client : Eddy, le chargé de comm’ de chez Bizzeo.

Sam reçoit son brief, commence à travailler, fait des propositions, et s’ensuivent les habituels allers / retours, jusqu’à la livraison finale du design. Eddy est ravi, c’est exactement ce qu’il attendait ! Sam est payé, tout va bien pour lui, son travail s’arrête là. Il prépare des livrables super propres, avec de beaux fichiers bien rangés, et même un guide de style. Il a pensé à tout, Sam.

LIKE A BOSS

Eddy envoie donc les fichiers à Fanny, la développeuse front-end qui va s’occuper d’intégrer tout ça. Fanny avance, puis elle se rend compte que Sam a oublié les états de survol des boutons, le message d’erreur du formulaire de login, elle a du mal à comprendre le comportement que certains éléments doivent avoir en responsive. Ah, et évidemment, il a choisi une typographie qui nécessite un abonnement, et le client n’a pas envie de payer. Bref, elle est un peu coincée, puisqu’Eddy, son seul contact, n’en sait trop rien non plus, et lui dit « on va quand même pas déranger le designer pour ce genre de détails. » Ils improvisent et s’accordent sur les meilleurs compromis. Ça avance.

Jim Carrey qui tape très vite sur son clavier.

Un jour, Sam reçoit un mail d’Eddy qui lui annonce que « Chouette, le site est en ligne ! » Sam clique fébrilement sur le lien en se disant que quand même, il aurait aimé voir la pré-prod, juste pour être sûr… ce petit moment d’appréhension qu’il a eu tant de fois, à raison. Et là encore, c’est le drame.

ERRORS, ERRORS EVERYWHERE avec Buzz l'éclair et Woody

Rien n’est respecté : les typos ne sont pas les bonnes, les marges sont mauvaises, et ne parlons pas de l’interlignage. Sam estime que tout ce qui fait sa valeur ajoutée en tant que designer est annihilé par une intégration trop peu rigoureuse. De son côté, Fanny a fait ce qu’elle pouvait avec les moyens du bord. Aucun des deux n’est satisfait, mais personne ne le dira, « puisque le client est content. »

Combien de fois avons-nous vécu cette situation, si frustrante, de devoir travailler en équipe… sans jamais rencontrer l’autre partie de l’équipe ? Même s’il est naturel de ne pas pouvoir s’entendre avec tout le monde, ne serait-ce pas une bonne solution que de faire se rencontrer les différents membres de l’équipe avant de commencer un projet ?

L’enfer, c’est les autres

Les développeurs, graphistes et chefs de projets vus par HTeuMeuLeu.

Depuis le début de ma vie professionnelle, je lis et j’entends les gens se plaindre de leurs collègues, patrons, prestataires, clients, comme s’ils faisaient face à des personnes tout à fait opposées à eux, à des personnes qui viennent d’ailleurs. Des personnes qu’on leur a imposées.

On peut avoir plein de raisons de se plaindre de ses collègues : certains ont un égo un peu trop présent, d’autres semblent incompétents et pas à leur place, d’autres encore tirent toujours la couverture à eux… (sans parler de celui qui laisse toujours sa vaisselle dans l’évier).

Please… Make the stupid people shut up (dit le petit chaton)

Il y a des centaines de raisons pour détester les gens avec qui l’on travaille. Mais ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas en se sentant mal avec des gens avec qui l’on passe 8 h par jour, que l’on accomplira des choses dont on sera fier.

Le paradis, c’est aussi les autres

Ce qui est assez génial, c’est qu’en équipe, on peut accomplir des choses qu’on ne pourrait jamais imaginer faire seul, arriver à des points inaccessibles par ses seules compétences. Ainsi, au bout de quelques années de vie professionnelle, je me suis rendue à l’évidence : beaucoup de gens travaillent bien. Vraiment bien. La plupart d’entre eux ont à cœur de bien faire leur boulot. Des gens talentueux et pleins d’idées, c’est beaucoup plus fréquent que ce que l’on pense. Parfois, certains font objectivement tellement bien leur boulot qu’ils ont l’impression qu’ils sont les seuls à mettre du cœur à l’ouvrage. C’est évidemment une impression biaisée, basée sur son son propre point de vue en regard de ses propres objectifs. Laissons communiquer les équipes, sur ce qu’elles font, pourquoi, comment… ! Si tant est qu’elles en aient vraiment envie, ça devrait bien se passer, et l’échange n’en sera que plus riche. Et chacun pourra comprendre les impératifs et contraintes de l’autre.

Alors, on subit ou on change les choses ?

Dans les différentes conférences que l’on a pu suivre cette année, le maître-mot semblait être la collaboration. On commence à nous dire, en 2014, que ce serait pas mal de communiquer avec ses collègues. Ça en aura mis, du temps !

Mais au-delà de communiquer et collaborer, il est extrêmement important d’avoir la possibilité de choisir les personnes avec qui l’on a envie de travailler.

Savoir s’entourer

Vous recrutez ? Faites rencontrer les candidats potentiels par l’équipe en place. Idéalement, sans le recruteur. Impulsez l’envie de travailler ensemble, proposez à votre équipe de prendre part au processus de recrutement. Laissez les gens se parler et se rencontrer !

Les mouettes du Monde de Nemo

C’est le meilleur moyen de voir si ça va fonctionner ou non. Faites confiance aux personnes qui vous entourent. Elles sauront avoir un avis objectif : quand l’humain est au centre, ça oblige chacun à se recentrer sur l’équipe. Ces retours seront mille fois plus riches qu’une heure d’entretien en tête-à-tête.

Vous recrutez un dév ? Laissez le designer / commercial / chef de projet / peu importe assister à la rencontre : son avis sera d’autant plus intéressant puisqu’il sera basé sur ses impressions et non sur les compétences.

Bullshit ou vrai changement ?

Depuis 2 ans, je travaille dans une start-up où l’esprit d’équipe est la base même du projet. Travailler de façon soutenue et impliquée, en tant que seule designer dans une équipe composée pour les ¾ de développeurs, me permet d’avoir un double regard, à la fois complètement intégré à l’équipe et en même temps en dehors, de par mes compétences bien différentes des leurs. J’ai eu l’occasion d’assister à des entretiens, puis à des rencontres (souvent des déjeuners) avec les potentielles recrues, aussi bien en développement qu’en commercial. Ce n’est pas mon cœur de métier, mais la possibilité d’avoir un retour tout de suite rassure tout le monde : à la fois l’équipe en place, mais également la personne candidate (il faut que ça marche pour elle aussi, évidemment !), et surtout les boss qui ont à cœur de voir leur équipe toujours solide. Bref, tout le monde y gagne.

Des minions

Et au bout de 2 ans, je peux commencer à dire que ça marche pas mal : partis à 5, nous sommes maintenant 13, et j’ai la chance d’être entourée de collègues humainement géniaux.

Et en freelance, alors ?

L’histoire de Sam, Eddy, et Fanny (et toutes celles vécues depuis des années…) prouve qu’en freelance aussi, on devrait rencontrer les gens avec qui l’on va travailler : c’est à la fois la garantie qu’il y a bien compatibilité dès le début (notamment sur les objectifs de qualité et les moyens pour y parvenir), mais le premier contact permet aussi de briser la glace, ce qui garantit une meilleure aisance pour les futurs échanges professionnels.

Welcome to team awesome (par Barney Stinson)

En complément

Je vous invite à lire l’excellent article de Marie Guillaumet, sur la relation entre intégrateurs et chefs de projet, qui résume à mon sens parfaitement ce que doit être le travail d’équipe : honnêteté et bienveillance.

Sur le même thème, la conférence de Marie-Cécile Paccard et Goulven Champenois à Blend « Designer et intégrateurs : BFF » rappelle assez bien que même si nos métiers sont différents, la finalité est commune et on doit avancer en ayant en tête les mêmes objectifs.

4 commentaires sur cet article

  1. STPo, le lundi 8 décembre 2014 à 10:48

    > en freelance aussi, on devrait rencontrer les gens avec qui l’on va travailler : c’est à la fois la garantie qu’il y a bien compatibilité dès le début (notamment sur les objectifs de qualité et les moyens pour y parvenir), mais le premier contact permet aussi de briser la glace, ce qui garantit une meilleure aisance pour les futurs échanges professionnels.

    Il m’arrive très fréquemment (c’est même la majorité des cas) de ne jamais rencontrer mes clients IRL et que ça se passe quand-même très bien avec eux. Je crois que l’importance de voir physiquement ses interlocuteurs dépend beaucoup des types de boîtes (et de leur propre culture) et des types de missions (remote ou sur site).

    Les échanges électroniques sont entrés dans les mœurs (tout particulièrement dans nos métiers d’ailleurs) et personnellement je ne crois pas qu’ils soient moins « vrais » que les échanges IRL. J’ai même tendance à préférer un premier contact par email qu’au téléphone ou de visu.

    Il m’arrive naturellement de rencontrer mes clients de temps à autre, mais c’est souvent justifié par le fait qu’une réunion IRL à ce moment précis du projet sera plus efficace qu’un Skype ou une pluie d’emails… et pas par la nécessité impérieuse de briser une glace déjà fondue depuis bien longtemps par voie électronique.

  2. Christelle Mozzati, le lundi 8 décembre 2014 à 11:01

    Merci Christophe pour ton commentaire. À vrai dire je m’attendais à ce genre de réponse, et j’ai envie de dire : heureusement, que ça se passe souvent très bien. De récentes et moins récentes expériences, ainsi que des discussions avec d’autres personnes du métier m’ont donné envie d’écrire cet article, car j’ai la chance d’avoir pu expérimenter pas mal de configurations d’équipe (des missions en remote qui se passent très bien, d’autres plutôt mal, des équipes peu soudées, moyen soudées, très soudées, le freelance, le salariat, l’agence, la startup…) et c’est le fruit d’un retour global (qui s’affinera sûrement encore avec le temps).
    Mais oui, beaucoup de freelances bossent chez eux avec des clients qui ne sont pas dans la même ville, en ne traitant que par e‑mail, et si ça se passe bien : tant mieux ! Je le fais moi aussi avec mes clients. C’est quand ça se passe mal que ça peut coincer. Et j’ai tendance à penser que si en freelance, tu peux passer d’une mission à l’autre (et donc « virer ton client » si ça se passe mal, et réciproquement), c’est un peu plus compliqué de se tromper au moment du recrutement dans le cadre d’un salariat, car ça met en danger l’équilibre qui est en place.
    Bref, tant que tout se fait dans le respect de l’autre et de son travail, que tu peux communiquer sur tous les points sans frustration ET que tu es content comme ça, pas de raison de changer.

  3. STPo, le lundi 8 décembre 2014 à 11:11

    Je ne réagissais que sur ton paragraphe sur le freelance, je suis bien d’accord sur le fait que les choses sont différentes dans le cas du salariat, où le télétravail est encore rare et où les relations humaines IRL du quotidien jouent par conséquent un rôle central. De plus et comme tu le dis, mettre fin à une collaboration houleuse dans le cadre d’un CDI est autrement plus compliqué qu’en freelance et les conséquences prennent immédiatement d’autres proportions…

  4. Julien Jollu, le mercredi 7 janvier 2015 à 09:44

    Excellent article ! Il m’a fait beaucoup rire. En plus, également designer entouré de développeurs, je me suis totalement retrouvé dans ton témoignage (ahhh, les maquettes intégrées par les dev !).
    Chez nous, on va bientôt recruter un nouveau designer. Mes responsables m’ont proposé de participer aux entretiens. Ça s’est cool !