Créer et publier du contenu sur Twitter : Pour qui ? Pour quoi ? Pourquoi faire ?

Beaucoup me connaissent sous le pseudo « Dame Fanny » sur Twitter. Je m’y suis inscrite 2008, ça fait donc dix ans, happy birthday to me. Avant ça, je trainais mes mots sur les blogs depuis 2004 et je suis l’un des dinosaures à avoir vécu avec effroi la migration catastrophique de 20six.fr, amenant à une perte massive d’articles de bon nombres de blogueurs. C’était en 2006, c’est-à-dire dans une autre vie en année internet. Je suis sur internet comme dans la vie, j’ai plusieurs existences. Dans la vie hors écran, je suis enseignante spécialisée et chargée de cours de phonétique à la fac pour des étudiants étrangers. Sur le net, j’écris des articles sur mon blog et ailleurs et je poste sur twitter des tweets et des vidéos où je montre des signes de la langue des signes sous le hashtag #damefannysigne.

Adolescence 2.0

Je suis la génération de ceux qui ont connu internet au début de leur adolescence. Dix heures par mois, puis internet illimité et l’ordinateur dans la chambre pour pouvoir être sur MSN toute la soirée et lire des fanfictions. J’ai eu la chance de grandir avec les blogs et que mes bêtises d’adolescence ne puissent pas s’enregistrer sur les réseaux sociaux. Pas de téléphone qui faisaient caméra, pas de Twitter, Facebook et toutes ces applications qui « transforment le monde entier en immense boudoir » comme dirait Anna Gavalda. Je téléchargeais des images que je mettais sur des disquettes, j’imprimais des fanfictions que je rangeais dans un classeur et je gravais mes chansons sur des cd-roms avec Nero.

J’ai grandi dans ce début d’internet qui était plein d’espoir et de nouveauté, je lisais des pages et des pages de la vie des autres sur des blogs. Je connaissais l’intime d’inconnu, je connaissais leurs vies entières sans avoir vu leurs visages. Et c’est comme ça que j’ai commencé à publier mes premiers contenus sur internet. De moi, il doit y avoir aussi des centaines et des centaines de pages qui courent sur le web. Ça fait plus de quinze ans que je finis toujours par alimenter un blog ou un autre sur des passages de ma vie que j’ai besoin d’écrire. J’écris sur un blog connu et puis sur des petits, intimes, que je mets en ligne mais dont je ne donne pas l’adresse. Paradoxe ultime. Mes mots sont visibles mais pas pour celui qui voudrait les chercher. Je les laisse libre de divaguer sur le net. Je pourrais les écrire dans un carnet mais j’ai pris des habitudes avec les années. Parfois, j’ai juste envie de jouer avec les mots et j’écris dans la pénombre d’internet.

L’intime et le militantisme : les blogs

Et parfois, j’ai envie de parler de mes sentiments parce qu’ils sont trop dévorants et parce que je sais qu’ils sont tellement intimes, tellement humains qu’ils en deviennent universels. Parce que ce sont des colères que je sais universelles et qu’elles sont la conséquence de l’oppression sexiste systématique qu’on vit en étant une femme. Dans ce cas-là, j’écris sur mon blog « Café langues de putes ». Je poste mes colères et mes peines d’être une femme dans un monde misogyne et je le fais par militantisme féministe. Je laisse une trace pour montrer comment les magasines nous traitent, comment la société nous traite, comment notre entourage le plus proche nous traite. Je laisse une trace pour que ça fasse écho chez certain·e·s, pour dire « tu n’es pas seul·e ».

Certains articles ont dépassé tout ce à quoi je m’attendais. Alors que j’écrivais en parlant de moi, je me suis retrouvée avec des dizaines et des dizaines de témoignages de gens connus et inconnus qui me répondaient « moi aussi ». L’article sur les relations toxiques continuent à m’amener des commentaires des années après. J’ai des trolls bien sûr, mais dans l’ensemble, je reçois plutôt de l’amour. Et ça me retourne toujours autant. J’écris et je poste sur internet comme si j’étais seule, en oubliant que je vais être lu.

Le militantisme et le professionnel : twitter

En ce qui concerne twitter, je me suis inscrite dès le début. C’était du micro blogging, on parlait sur twitter de ce qu’on était en train de faire sur le moment. Un petit bout du quotidien, clic clac kodak. J’y allais principalement pour suivre des journalistes et pouvoir avoir l’information le plus tôt possible.

Et puis twitter a grossi. Les hashtags, les tweets liés, les Follow Friday #ff, les comptes à suivre, ceux à éviter.

Entre temps, je finissais mes études, notamment mon CAPEJS, un diplôme d’état me permettant d’enseigner à des élèves sourds. Je suis rentrée dans la vie active et j’ai continué à venir sur twitter. J’ai continué à pousser des coups de gueule, notamment sur les sujets qui me touche comme le féminisme et l’éducation. À l’heure actuelle, je suis dans une colère énorme en ce qui concerne l’augmentation des frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers, la future augmentation des frais d’inscription pour tous les étudiants et pour l’enseignement spécialisé à qui on enlève toujours plus de moyen. J’ai de la chance d’être suivie par beaucoup de gens qui sont sensibles aux sujets que je mentionne et qui n’hésitent pas à retweeter et partager quand je demande de l’aide. C’est réconfortant. J’ai conscience que ça peut parfois être de l’entre soi dans des cercles militants mais ça fait du bien de savoir qu’on n’est pas seul dans notre colère et notre révolte.

Et parfois aussi, j’aime parler des jolies choses du quotidien, et j’aime parler de mon métier d’enseignante spécialisée. Je travaille au contact avec des jeunes sourds qui ont également d’autres types d’handicap. J’ai créé le hasthag #maikresse pour raconter mes petites anecdotes du quotidien. Je pourrais le faire sur un blog mais twitter est le moyen le plus facile de raconter quelque chose quand on n’a que quelques minutes de disponibles entre deux cours. Je raconte leurs jolis mots, les moments qui m’ont ému ou encore leurs différentes blagues de mes gros malins (mouarf mouarf la mygale en plastique sur le clavier de l’ordinateur de la prof, qu’est-ce qu’on rigole). J’ai la chance incroyable de côtoyer mes élèves au quotidien et j’avais envie que d’autres personnes que moi en profite. On est toujours en train de se révolter sur Twitter et c’est bien normal quand on vit dans une société tellement injuste et inégalitaire. Mais c’est important aussi de parler de ce qui rend la vie jolie, de ce qui vaut d’être vécu.

Personnellement, j’ai besoin de décrire ces moments-là aussi. Parfois, ce que je vis au travail n’est pas évident et j’ai besoin de pouvoir me rappeler de ce qui est beau, de ce qui va bien. Qu’il n’y a pas que les larmes des élèves, les crises ou le futur de leur scolarisation qui me terrifie avec ces inclusions sans moyen qu’on fait n’importe comment, ni faites, ni à faire. J’ai besoin de partager nos moments, leurs mots, leurs personnalités. Les petites coquilles qui sont en faite de vraies perles comme quand je demande comment s’appelle le métier qu’on exerce sur scène et qu’ils me répondent « La dame, elle est théâtrice !». J’ai vraiment du mal avec les comptes twitter de profs qui se moquent de leurs élèves, je trouve ça incroyablement déplacé. J’essaie de toujours garder une ligne éditoriale dans mes tweets basée sur l’empathie et la bienveillance.

C’est comme ça que j’ai commencé à poster ma première photo d’un signe en langue des signes dans ma classe. Cela devait être vers février 2016. Je crois que je racontais une histoire et j’ai voulu montrer le signe dont je parlais. C’était une vidéo de quelques secondes et je me suis rendue compte que les gens me demandaient beaucoup de signes.

J’ai réfléchi et je me suis dit que faire des petites vidéos où je montrerai un signe par jour au travail serait un bon moyen pour donner du vocabulaire aux personnes entendantes. Et que peut être, j’arriverai à faire retenir quelques signes aux gens qui leur permettraient de communiquer avec les personnes sourdes qu’ils pourraient croiser. Et j’ai commencé comme ça mes petites vidéos du matin filmées à l’iPhone, en mode cheveux mal coiffés et tête pas réveillée.

C’est un petit acte militant que je fais chaque matin en espérant pouvoir rendre la société plus inclusive, principe dans lequel je crois viscéralement. Cela fait deux ans que je poste des vidéos sous le hashtag #damefannysigne sur twitter. Ces vidéos me prennent du temps chaque matin mais les petits messages disant que les gens ont réussi à signer avec une personne sourde sont mes petites récompenses.

Et pourquoi tu ne postes que sur Twitter ?

J’ai une question qui revient beaucoup dans mes mentions : « Mais pourquoi je ne peux pas retrouver tes vidéos sur Youtube / Instagram / Facebook ? »

Mes vidéos ne seront jamais disponibles sur une autre plateforme et elles ne seront surtout jamais disponibles sur Youtube. La seule vidéo qui y est, c’est celle de mon bêtisier de l’année dont la durée ne me permettait pas de la télécharger sur Twitter. Je ne veux pas prendre la place des personnes sourdes.

Sur Youtube, il existe déjà beaucoup de youtubeurs et youtubeuses sourd·e·s fantastiques. Ils font des vidéos géniales où ils montrent du vocabulaire en langue des signes, où ils partagent leurs vies et où ils racontent et expliquent toute la richesse incroyable de la culture sourde. Il est hors de question que j’invisibilise qui que ce soit alors que je suis une personne entendante et que la langue des signes n’est pas ma première langue. Je ne suis là pour prendre la place de personne et j’estime que ce n’est pas mon rôle.

Quand j’en parle sur Twitter, les gens ont parfois du mal à comprendre que je ne veuille pas que ce contenu ci soit partagé ailleurs. Ils pensent que c’est parce que je ne sais pas faire et parfois me propose leurs aides avec gentillesse. Alors j’explique plusieurs fois et je dois parfois insister. Non, ce contenu ne sera pas disponible ailleurs. Oui, c’est dommage. Non, je ne changerai pas d’avis. J’ai trop milité dans les milieux féministes pour savoir ce que c’est que de se faire prendre la parole par des personnes non concernés.

Je fais ces vidéos pour donner du vocabulaire parce que je sais que les cours de langue des signes sont parfois inaccessibles niveau financier. Je ne remplacerai jamais une enseignante en langue des signes (ce que je ne suis pas), ni des heures de cours. Mais je suis un petit lien parmi tant d’autres qui peut permettre une première approche et peut être une première envie d’en savoir plus.

Je ne partagerai pas davantage ces vidéos parce que j’estime que je ne suis pas légitime pour le faire. C’est un point de vue réfléchi.

Cela ne m’empêche pas de partager d’autres choses. J’ai un projet de podcast en préparation et des vidéos de prévues avec l’association de professeurs spécialisés que je viens de créer. J’ai aussi des projets de livres que j’aimerais finir et proposer à des maisons d’édition. Je me sens légitime pour mes propres projets et mes différents contenus. Je fais la part des choses. J’ai l’impression que nous le faisons un peu tous avec nos différents réseaux sociaux. Nous ne sommes pas les mêmes sur Facebook, sur Twitter ou sur Instagram. C’est pareil pour moi. Je suis moi-même mais en plein de morceaux différents sur internet. Je suis l’enseignante, je suis la militante, je suis l’autrice, je suis la trentenaire fan de ses chats qui prend des selfies dans l’ascenseur.

En fait, je crois que je publie des contenus sur internet pour entrer en relation avec les autres et mais aussi pour entrer en relation avec moi-même et mieux me connaitre. Et ça me va très bien comme ça.