Littéraire, tu as ta place dans le Web !
Il y a quelques années, j’ai lu le compte-rendu d’une étude française qui annonçait le nombre de femmes présentes dans les filières scientifiques. C’est un constat qui se répète annuellement, lorsque l’on compare le taux de femmes vs le taux d’homme qui suivent un cursus scientifique ou technique. On parle alors de « progression » du taux de femmes1. Problématiques de parité et visibilité des femmes dans le domaine scientifique mises à part — parce que c’est un sujet beaucoup trop important pour que j’en parle de façon superficielle –, je vois souvent une autre idée sous-jacente.
« Tu as trouvé du travail, quand même ? »
Voici une anecdote intéressante. Je parle ici bien sûr d’expériences personnelles, d’une accumulation de constats faits au fur et à mesure des années. Je me rappelle d’une conversation dans un apéro professionnel en mode networking, où on me demanda mon parcours. C’était, je crois, en 2015, et je travaillais à Paris. Pour vous situer le personnage, j’ai actuellement 29 ans et j’ai monté une entreprise de stratégies de contenus Web, après un passage en agence en tant que Consultante SEO, et des stages ici et ailleurs entre agences et chaîne de télévision. J’ai alors expliqué que j’avais fait des études de lettres modernes, puis une licence Information-Communication. Mon interlocuteur me demanda alors « Tu as trouvé du travail, quand même ? ».
C’était loin d’être la première fois que l’on me considérait d’office en échec professionnel parce que j’avais fait des études littéraires, et que je les avais aimées. Pire encore, j’avais étudié en université, summum du parcours non professionnalisant pour les personnes en perdition n’ayant pas été capables d’entrer en classe préparatoire ou dans une grande école. Pourtant j’étais bien là, avec un poste pas mal du tout, plutôt appréciée, et relativement confiante en ce qui concerne mes capacités. Que s’était-il alors passé ? Comment avais-je réussi à être une professionnelle plutôt reconnue dans un secteur d’activité a priori technique, et en tirant assez mon épingle du jeu ?
Le numérique comme support et outil, et non pas comme une fin en soi
Il ne faut pas mentir, j’ai toujours eu une attirance pour le numérique, et j’ai même été cataloguée aux rangs des « geekettes » lorsque j’étais au lycée. J’ai appris à faire des sites Internet avec juste un éditeur de texte quand j’étais au collège (2003). J’ai installé une distribution Linux sur l’ordinateur familial (2005). J’ai participé à l’organisation d’un évènement dédié aux logiciels libres (2008−2009) avant de lancer un blog qui existe toujours (2009).
Pendant mes études, j’étais pourtant bel et bien une littéraire, qui aimait lire, étudier des textes, apprendre l’ancien français, et passionnée de grammaire et de grammaire comparée, puis absolument gaga de linguistique historique.
Je me suis alors dirigée vers le numérique, car je voulais raconter des choses. Je voyais le Web comme un média à conquérir. Le Web était devenu mon outil de prédilection. En effet, le multimédia permet de multiples façons de présenter un même sujet. C’est passionnant. J’ai donc naturellement démarré dans l’éditorial pour le Web, à faire des choses pas forcément passionnantes comme la définition de fiches de produits en ligne. Pourtant, j’ai vite été agréablement surprise par les compétences que j’avais acquises en fac de lettres, pour mon boulot.
De la morphosyntaxe au content spinning
Voici un exemple concret.
Je connais beaucoup de personnes qui détestent faire du content spinning, non pas par éthique éditoriale, mais parce que c’est chiant. Personnellement, j’adore cela, et je trouve la création d’un masterspin absolument fantastique.
Le content spinning consiste à construire un masterspin, une matrice, qui va permettre de créer une multitude de variations (des spuns) pour un même contenu. C’est très utile lorsque l’on cherche à faire parler de soi et que l’on a un seul message, mais qu’il n’est pas acceptable de copier/coller partout la même chose. Lorsqu’il faut générer une incroyable grande quantité de textes, cela devient même rentable.
Un jour, on me demanda de créer un masterspin et de générer des spuns. Je me suis alors très vite rendue compte que je me servais directement de ce que j’avais appris en cours de linguistique, et plus particulièrement en morpho-syntaxe (merci Noam Chomsky). Les techniciens qui me lisent et qui connaissent les expressions régulières (regex
) comprendront sûrement de quoi je parle.
Alors que le content spinning était vu comme une compétence technique, je prenais plaisir à en faire et sans difficulté grâce à mon bagage fondamentalement littéraire.
Les rats de bibliothèque peuvent faire de très bons référenceurs
Si vous cherchez une tête bien faite, vous pouvez vous diriger vers les profils littéraires pour faire du SEO. De nos jours, il n’est pas forcément difficile de rencontrer une personne qui a fait des études littéraires et qui porte un intérêt pour les métiers du Web.
Références, métadonnées, indexation, classification… je peux vous assurer que ce sont des termes que connaissent bien les personnes qui font des recherches en bibliothèque. Si vous vous êtes déjà intéressé au référencement naturel, vous savez certainement que le nombre de liens entrants vers un site Internet influe sur son classement dans les moteurs de recherche. Parlez alors à une personne qui a fait des recherches en sciences humaines du Science Citation Index ! Cet indice de citation permet de classer les publications scientifiques, par rapport au nombre de fois qu’elles sont citées par des pairs. Cela ne vous est pas familier ?
Aujourd’hui, je dis fièrement que j’ai fait des études de lettres. Ces années passées dans les amphis ne sont pas du tout pour moi une perte de temps, et je ne considère pas que je me suis réorientée vers le Web. Au contraire, les compétences que j’ai acquises me servent quotidiennement dans mon métier. Le Web est un domaine professionnel tellement vaste, que j’ai vite trouvé comment mettre en application ce savoir.
Ne pas se limiter à une catégorie restreinte de métiers
Ce n’est pas parce que l’on a fait des études a priori littéraires, et pas très techniques que cela ferme des portes. Aujourd’hui, j’ai fait le choix de me spécialiser dans l’éditorial, parce que cela me plaît et, car être expert est aussi un atout sur le marché.
Pourtant, je ne pense absolument pas que les profils littéraires doivent rester uniquement dans la sphère des community managers, RP et rédacteurs. Ce sont de véritables métiers, mais il est aussi possible d’aller vers d’autres professions.
Le Web demeure un domaine où il y a de la technique. Le community manager va par exemple se former au Web Analytics, pour collecter des données et les exploiter. Je milite également pour que chaque rédacteur Web sache au minimum créer un mini-site sans utiliser de CMS. C’est pour moi une question de culture en lien direct avec son secteur d’activité.
J’utilise souvent une analogie pour expliquer que je ne fais pas que poser des mots dans des sites. Pour moi, la création de contenus en ligne demande une double compétence. D’une part, faire de l’éditorial est un métier à part entière qui demande sa propre technicité. D’autre part, lorsqu’un graphiste sait quelles couleurs choisir en fonction du support utiliser (format, type de papier, technologie d’impression, etc.), le créateur de contenu s’adapte aux contraintes du numérique. Cela est d’autant plus exigeant que le Web évolue à grande vitesse.
Il ne faut pas sous-estimer la technicité du Web, même si on est recruté pour des compétences initialement littéraires. Cela demande de la flexibilité et des temps de formations complémentaires, mais la vie est ainsi faite, n’est-ce pas ? Quels que soient le métier et le secteur d’activité, on peut toujours aller plus loin et se forger une expérience. C’est grâce à cela que l’on devient de plus en plus compétent. Amis littéraires, prenez confiance en vos capacités, aucune compétence ou savoir est inutile. Il suffit d’être ouvert, de se lancer, et de continuer à apprendre. S’il y a bien un domaine qui n’est pas figé, c’est bien le Web.
- ↑ Source : inegalites.fr.
2 commentaires sur cet article
Loriane, le 9 décembre 2018 à 10:10
J'ai fait deux ans de classe prépa littéraire, suivies d'une licence en histoire et me voilà maintenant intégratrice web à manier du HTML et du CSS toute la journée. Ce parcours interroge systématiquement mais comme toi je le considère comme une force et je n'ai jamais regretté une seule seconde d'en être passée là :)
Alexandra, le 10 décembre 2018 à 10:57
Ahh je me retrouve tout à fait dans ce que vous racontez ! J'ai aussi eu un parcours littéraire et très souvent à me dire que le Web (ou l'informatique en général) n'était pas pour moi car taxés de "matière scientifiques". Mais vu que je suis tétue et obstinée j'ai franchi le pas et je ne le regrette absolument pas. Ma culture littéraire est une force, mon parcours atypique aussi ! Merci pour ce témoignage ! Il en faudrais plus !
Il n’est plus possible de laisser un commentaire sur les articles mais la discussion continue sur les réseaux sociaux :