Pourquoi et comment nous avons fait le choix de l’accessibilité à Paris Web

Si vous ne connaissez pas Paris Web, il s’agit d’un événement annuel rassemblant les professionnels du web lors de conférences et d’ateliers répartis sur trois jours. On y parle de qualité, d’accessibilité, de code, d’éthique, de design, d’UX… une grande variété de sujets pour un large public (développeurs, designers, responsables digitaux, etc.).

La qualité est au cœur de l’ADN des conférences de Paris Web. Dès la première édition en 2006, les trois fondateurs (Éric Daspet, Adrien Leygues et Stéphane Deschamps) ont choisi de placer parmi les sujets abordés l’accessibilité, avec une intervention de Laurent Denis sur « L’accessibilité selon le W3C ».

À cette époque, la prise de conscience de l’importance des standards du web commençait à émerger. Parmi les bonnes pratiques, l’accessibilité (aussi nommée a11y chez nos amis anglophones, pour plus de concision) a rapidement trouvé une place de choix, car coder avec les standards garantit déjà un niveau minimal d’accessibilité.

Il était insensé de parler d’accessibilité sans que l’évènement en lui-même le soit. En 2010, il y a eu une initiative qui a permis la mise en place de la vélotypie et de l’interprétariat LSF pour que l’évènement soit accessible. Par la suite, nous avons continué à étendre cette série d’initiatives progressivement pour le rendre accessible au plus grand nombre.

Nos initiatives pour l’accessibilité

Nous aborderons volontairement dans cet article l’accessibilité au sens « strict » uniquement, c’est-à-dire les efforts que nous mettons en œuvre afin de rendre l’événement ouvert aux personnes en situation de handicap. En parallèle, nous essayons également de travailler sur l’inclusion afin d’élargir l’accès aux conférences/ateliers à des personnes qui y sont généralement peu représentées (audience féminine, minorités, etc.), mais ce n’est pas l’objet de cet article.

Des sites et outils accessibles

Il est évident que faire venir des personnes avec des handicaps différents ne peut se faire… que si les informations sont accessibles sur notre site internet (et nous veillons à ce que cette accessibilité perdure dans le temps avec le roulement de personnes qui sont dans le staff). Notre propos n’est pas de vous faire ici un cours complet sur la façon de le faire. N’hésitez pas à revoir les conférences d’accessibilité données à Paris Web depuis 2006.

Nous gardons en tête : l’accessibilité doit toujours être prise en compte à toutes les étapes de la vie d’un site web, de la conception (design, intégration/développement front-end) à la maintenance. La prise en compte précoce de cet aspect permet de minimiser la charge de travail et facilite la gestion ultérieure de la vie du site.

N’oubliez pas que nous sommes une association de bénévoles, avec des emplois à côté et des disponibilités parfois aléatoires. Nous ne disposons donc pas de ressources illimitées, même si les membres du staff ne manquent pas d’énergie !

En dehors de notre site vitrine, notre public doit aussi pouvoir soumettre un sujet et s’inscrire à l’événement. Cela nous mène souvent à devoir développer nos propres solutions, car le niveau d’accessibilité des solutions « toutes faites » est souvent bien insuffisant, voire catastrophique.

N’oubliez pas non plus de permettre aux personnes inscrites de signaler si elles ont un handicap nécessitant des besoins particuliers. Pour pouvoir répondre au mieux à leurs besoins, encore faut-il les connaître pour les anticiper ! :)

L’accès PMR

Cela peut paraître évident mais pour organiser un événement accessible aux personnes en fauteuil roulant, il faut trouver des lieux dits « accessibles PMR ». Si cela est aisé pour les lieux de conférences, c’est déjà plus compliqué quand on organise en plus de l’événement un apéritif communautaire. Oubliez donc la plupart des bars proposant des salles à privatiser en sous-sol, par exemple.

En région parisienne, les transports en commun sont un vrai point noir en termes d’accessibilité PMR, surtout en ce qui concerne le métro :

Carte du métro parisien et des stations accessibles PMR.
Source : The Guardian

Les personnes en fauteuil sont donc souvent obligées d’utiliser leur voiture pour se déplacer. Les organisateurs de conférence doivent les prendre en compte au niveau des places de parking et le cas échéant pour tout déplacement : il serait quand même regrettable de ne pas pouvoir emmener vos orateurs et oratrices à un apéritif communautaire ou un repas.

L’interprétariat LSF

Environ 70% des personnes sourdes pratiquent/comprennent la LSF, la mise en place de l’interprétariat LSF est donc un bon moyen de s’ouvrir à un public sourd et malentendant.

Dans ce type d’évènement, la principale difficulté que nous rencontrerons sera l’interprétation LSF d’un vocabulaire pointu et technique. L’exercice peut vite devenir extrêmement ardu pour les interprètes : mots anglais, acronymes, expressions techniques. Nous avons au fil des années mis en place des stratégies afin de pouvoir faciliter le travail de l’équipe d’interprétation LSF. Nous demandons aux orateurs et oratrices de nous fournir à l’avance les supports de leur présentation. Si cela n’est pas possible alors, que nous puissions transmettre à minima une liste de mots qu’ils utiliseront. Toutes ces données sont transmises à l’équipe d’interprétation dès réception ce qui leur permet d’aménager leur préparation quand c’est à l’avance. Le fait d’utiliser la même équipe d’année en année facilite les choses, car le processus s’améliore d’année en année.

Les interprètes ont une place de choix sur la scène de Paris Web. Photo par Franck Paul.

Nos orateurs et oratrices jouent de plus en plus le jeu, lors de la dernière édition, nous avons même remarqué des petites pauses de leur part, afin de s’assurer que l’interprète suive sans souci.

Pour en savoir plus, nous vous invitons à voir (ou revoir) l’excellente conférence donnée en 2015 à Paris Web par Sandrine Schwartz, une de nos interprètes LSF. Un sacré challenge, mais beaucoup de plaisir à le faire !

La vélotypie

La LSF n’est pas comprise par toutes les personnes sourdes et malentendantes. Nous avons mis en place la vélotypie. Derrière ce terme un peu barbare, des personnes dotées de super-pouvoirs retranscrivent en temps réel tout ce qui est dit à l’oral pendant les conférences. La réalisation est effectuée à distance par une liaison téléphonique. Et étant donné le débit de parole (avec en plus parfois un niveau techinique élevé) de certains orateurs, cela tient vraiment de l’exploit !

Des solutions de reconnaissance vocale gonflées à « l’intelligence artificielle » commencent à émerger et tentent de réaliser la même prouesse. L’expertise humaine reste la solution viable à l’heure actuelle.

Normalement ça marche bien, mais c’est mieux de tester :) Photo par Franck Paul.

Cela a un impact sur la façon dont nous organisons la scène. Il nous faut 2 vidéo-projecteurs : un pour la projection des supports des orateurs et un autre pour afficher la vélotypie.
En terme d’organisation, cela peut paraître contraignant mais il y a des avantages certains : vous pouvez sous-titrer les conférences diffusées en direct, ainsi que les vidéos publiées individuellement après l’événement.

Des ressources

Selon les besoins de notre public, nous dédions également des ressources humaines et/ou logistiques durant l’événement :

  • Un accompagnement pour les personnes aveugles (et leur chien-guide, le cas échéant !).
  • La mise à disposition d’une salle au calme pour permettre à une personne autiste ou à forte sensibilité de s’isoler en cas de montée de stress.
  • Une attention de tous les instants : nous essayons d’anticiper et de prendre en compte les différents soucis qui peuvent arriver malgré nous (son trop fort qui peut incommoder les personnes aveugles/autistes, animations trop brusques pour les personnes épileptiques, etc.).
  • Etc.
Le chien-guide a aussi droit à son moment de pause. Photo par Franck Paul.

Conclusion

La mise en place de l’accessibilité à tous ces niveaux pour une conférence comme celle de Paris Web, c’est une démarche au long cours. Elle a un coût non négligeable (environ 10 % du budget de l’événement dans notre cas). Nous apprenons continuellement de nos erreurs comme de nos réussites. La diversité de notre audience est vraiment une source d’inspiration et même de créativité.

La perfection n’est pas de ce monde, mais nous avons à cœur de toujours faire au mieux. Notre staff monte perpétuellement en compétences sur ces sujets et nous essayons de pérenniser cela le plus possible.

Cette démarche bénéficie à tous, elle nous offre des plaisirs sans cesse renouvelés :

  • Une personne sourde peut s’exprimer en langue des signes, nous pouvons l”« entendre » grâce à l’interprétariat LSF quelle que soit la langue principale de l’orateur ou de l’oratrice !
  • La vélotypie offre une accessibilité importante car elle permet également à toute personne de reprendre la conférence ou de relire ce qu’elle n’aurait pas bien entendu.
  • Nos orateurs et oratrices jouent vraiment bien le jeu et l’audience aussi.
  • Cette même audience nous rend au centuple, par le biais des feedbacks, les efforts que nous faisons pour rendre l’événement accessible.
  • Et globalement, cela rejoint notre idéal qui se trouve être celui du Web : « it’s for everyone ! » (c’est pour tout le monde).

Il est déjà arrivé que d’autres organisateurs de conférences nous contactent à ce sujet pour leur propre évènement. C’est gratifiant de voir que notre démarche peut en inspirer d’autres !
Alors faites passer le message autour de vous !

4 commentaires sur cet article

  1. Emmanuelle, le vendredi 14 décembre 2018 à 10:32

    C’est, grâce à l’accessibilité, que je vais à Paris Web chaque année.
    En tant que professionnelle du web sourde, je profite de ce dispositif hors norme pour me former sur les derniers nouveautés et différents sujets.
    Cette année, environ 10 personnes sourdes et malentendantes, qui sont également des professionnels du web, ont pu également en profiter ! Et on en redemande !!! :-)

    C’est un dispositif qui doit se généraliser partout quelque soit le thème des événements car cela favorise l’inclusion des personnes handicapées qui sont aussi des professionnels et qui ont aussi des compétences professionnels comme tout le monde.

  2. Clementine, le jeudi 20 décembre 2018 à 16:53

    70% de sourds qui pratiquent/comprennent la LSF… en se basant sur un lien vieux de 13 ans qui se base certainement lui-même sur le rapport Gillot qui a déjà 20 ans, ce n’est pas du tout crédible comme chiffre quand on connaît la réalité du terrain.

  3. Nicolas, le vendredi 11 janvier 2019 à 11:10

    @Clémentine : vous avez des chiffres plus frais ?

  4. Clementine, le mercredi 24 avril 2019 à 14:57

    @Nicolas : Un chiffre qui cite 120 000 adeptes de la LSF ici : https://www.vivrefm.com/posts/2019/02/langue-des-signes
    avec seulement 500 interprètes disponibles sur la France… en 2019.
    si on compare avec les + ou – 3 millions de personnes sourdes et malentendantes en France, cela ferait à peine 5% de sourds qui pratiquent la LSF. Donc on est très loin des 70% évoqués dans l’article.