Ada ou la pédagogie constructiviste

Dans ma vision probablement très optimiste et naïve de l’apprentissage, je considère que toute personne peut apprendre à tout âge, à son rythme, et quelle que soit sa position dans le monde. Ainsi, en tant qu’encadrante de formations gratuites ou payantes, je continue à apprendre des personnes que j’encadre et je les aide à apprendre en contrepartie.

En tant que femme blanche dans le milieu de la programmation et dans le monde des start-ups, j’ai décidé peu après la fin de mes études d’ouvrir ma réflexion de l’apprentissage sur les problématiques de genre, d’orientation sexuelle, d’origine et de représentations sociale et culturelle.

C’est dans cet esprit que j’ai co-fondé il y a quelques années, avec Lisa Durand et Sonia Prévost, une association pour permettre à des personnes dont le profil est sous-représenté dans la tech, de prendre part à des ateliers de programmation gratuits et hébergés par des entreprises de la tech parisienne, en accord avec nos idées. Le but était d’offrir une porte d’entrée facilitée, et gratuite, dans le monde du développement à des personnes qui n’en avaient pas eu la possibilité avant.

Puis j’ai cherché d’autres types d’organisations, avec d’autres moyens et touchant d’autres milieux sociaux professionnels, en gardant en tête mes propres contraintes temporelles et budgétaires. C’est à cette période que Yannick François m’a parlé d’une école qui se montait et pour qui il avait la charge de créer une équipe pédagogique : Ada Tech School.

L’école

Ada Tech School est une entreprise dont le modèle financier se base sur la formation. C’est une école privée et payante, ayant des investisseurs et investisseuses, et qui présente, à mes yeux, plusieurs intérêts :

  • une ambition affirmée de créer un environnement fortement inclusif,
  • la construction d’une équipe pédagogique diversifiée,
  • une ouverture d’esprit quant aux conseils et aux critiques internes et externes à l’école,
  • le souhait de rechercher le plus de solutions possibles pour rendre l’école accessible à tous les budgets

L’école propose une formation sur deux ans, la première année étant une formation continue et la seconde année de l’alternance (4 jours en entreprise, 1 jour en école). Il y a deux rentrées scolaires possibles, en octobre et en janvier, ce qui permet à des personnes voulant se réorienter pendant une année scolaire de gagner du temps.

La première promotion est composée de femmes et d’hommes majeur·es de différents horizons. Il y a de jeunes étudiant·es post-bac tout comme des personnes en réorientation professionnelle (tout niveau de diplôme confondu).

Son nom fait référence à Ada Lovelace, pionnière en informatique, qui a écrit le premier véritable programme informatique.

La pédagogie

L’équipe

Actuellement, l’équipe pédagogique est composée de 6 personnes (3 femmes, 3 hommes), issu·es de formations et de métiers différents. Nous sommes des professionnel·les du développement informatique qui travaillons :

  • en coopérative,
  • dans des PME,
  • pour le gouvernement

Certain·es ont un diplôme, tandis que d’autres ont appris sur le tas, ou ont choisi de se réorienter. Chaque personne a donc d’autres projets professionnels à côté. Ainsi aucune n’est à temps plein chez Ada.

Chacune de ces personnes a montré, au début de l’aventure, un intérêt à prendre part, gratuitement ou non, à ce nouveau projet pédagogique, et a été par la suite intégrée à l’équipe suivant son choix.

Le contenu

Le contenu de la pédagogie mise en place chez Ada est un travail collaboratif dont le socle est constitué par les précédentes expériences de Yannick François, notamment lors de la formation « À mon tour de programmer » et dans le réseau Simplon.

La formation sur laquelle nous avons travaillé se veut évolutive et collaborative et prend sa place dans le courant constructiviste. Concrètement cela veut dire que nous ne faisons pas de cours ou de travaux dirigés pré-établis. L’idée, ici, est de permettre aux personnes apprenantes de construire leurs connaissances par le « faire » et par l’environnement qui leur est proposé. Du côté des encadrant·es, le but est le même : nous apprenons en transmettant aux autres, par diverses méthodes. Nous montrons et nous faisons plus petit plutôt que d’expliquer.

L’un des piliers de cette pédagogie est la proximité entre les encadrant·es et les apprenant·es. Chacun·e (plus spécifiquement les encadrant·es dans un contexte de service rendu contre salaire) est à l’écoute de l’autre pour l’aider à mieux évoluer dans son apprentissage. Les rapports humains entre les différentes composantes de l’école sont plus proches que dans les autres structures que j’ai eu l’occasion de côtoyer.

Les influences de cette pédagogie sont nombreuses. J’ai ajouté quelques références en fin d’article, partagées par l’équipe.

Les fondations

Pour construire l’environnement dédié à cette pédagogie nous nous sommes réunis physiquement ou virtuellement (en visioconférence), de manière bénévole, et à plusieurs reprises, pendant les deux mois précédant le début de la formation.

Ces deux mois nous ont, notamment, permis de réfléchir :

  • aux notions vers lesquelles nous voulions accompagner les apprenant·es,
  • au format (durée, contraintes possibles, etc) et au contenu des projets abordés,
  • aux références techniques ou littéraires que nous voulions fournir,
  • aux outils organisationnels que nous utiliserions au quotidien,
  • à la charte pédagogique nécessaire à la construction d’un environnement inclusif,
  • à la manière de représenter l’évolution des apprentissages de chacun·e,
  • à l’organisation de l’équipe encadrante (paie, planning, discours, rôles voulus),
  • à l’intégration d’une nouvelle personne encadrante

Nous avons utilisé cette période pour nous rassurer sur l’aventure qui allait nous attendre et définir un point de départ à la formation. Il est important de garder en tête que le planning et les outils qui avaient été définis à l’origine peuvent et vont évoluer au fur et à mesure que les apprenant·es et les encadrant·es apprendront à se connaître.

L’organisation actuelle

Pour construire pas à pas le cursus pédagogique, nous travaillons par itérations. Toutes les deux semaines les apprenant·es travaillent sur un nouveau projet proposé par l’encadrement. Nous appelons ces itérations des séquences. En fonction des apprentissages de l’équipe encadrante, les séquences évoluent sur de nombreux points possibles, par exemple :

  • le nombre de personnes par équipe de projet,
  • le sujet du projet (identique ou différent selon les équipes ),
  • les outils utilisés (libres ou imposés),
  • le format-type d’une journée

Journée type

La journée commence à 10 h et finit à 18 h. Chacun·e est libre de venir plus tôt ou plus tard, et de finir aussi plus tôt ou plus tard, en fonction de ses contraintes et envies personnelles.

Nous mettons en place une plénière à 10 h, qui permet d’aborder en groupe un sujet ou une notion utile au projet en cours ou demandé par les apprenant·es. Parmi les sujets déjà abordés, nous avons discuté de l’utilisation d’outils de version tels que git, fait de la lecture de code, parlé de factorisation du code, ou encore abordé des sujets sociétaux liés au domaine de l’informatique.

Une pause d’une heure est prévue le midi puis les groupes travaillent en équipe l’après-midi sur leurs projets respectifs.

En fin d’après midi, deux jours par semaine, un spectacle est mis en place. Un spectacle c’est un moment où chaque groupe de projet, l’un après l’autre, montre aux autres une notion apprise et appréciée, un bout de code trouvé intéressant ou encore une démo du projet. La finalité des séquences n’étant pas de terminer le projet, ce qui est présenté est très libre.

Dans le même temps nous journalisons les avancées de chaque groupe. Nous notons les notions ou techniques apprises, les ressentis et les actions effectuées. Cette étape de la journée permet de prendre du recul sur ce qui a été fait et compris et sur les notions problématiques de chacun·e. Le journal est disponible sur un Discourse accessible à tout le monde.

Pour finir la journée, une clôture est effectuée. C’est un petit rituel mis en place pour parler de soi, exprimer des tensions personnelles, parler de ce qui nous a plu ou déplu, sans parler des autres. Pour le format, c’est une sorte de mini-rétrospective avec bâton de parole (on parle chacun·e son tour, et les autres se taisent) axée sur l’humain plutôt que sur la technique.

L’équipe encadrante, en fonction de la charge de travail dans la journée, essaie aussi de tenir un journal pour permettre à celles et ceux qui n’étaient pas là le jour J de savoir ce qui est utile ou prévu le lendemain. Cette démarche permet de suivre au mieux le moral de chaque personne. Travaillant un jour par semaine chez Ada Tech School, cet outil m’aide tout particulièrement à être tenue au courant des difficultés, attentes, ou aspirations de telle ou telle personne.

Exceptions

Le lundi amorçant une séquence, la plénière sert à créer les groupes et à attribuer les projets.

Le jeudi matin, nous invitons fréquemment des personnes extérieures à venir parler de leur parcours professionnel et de leurs passions. Nous les choisissons par rapport aux envies des apprenant·es et aux propositions des encadrant·es.

Enfin, chaque vendredi après-midi (ou presque), nous organisons un forum ouvert, qui permet de prendre du temps pour soi, de proposer un atelier qui nous tient à cœur, quel que soit le thème, de revenir sur une notion de la semaine ou encore de s’accorder une pause.

Les évolutions amorcées

Au début, le spectacle et la journalisation se faisaient tous les jours. Cela laissait moins de temps pour les sessions en équipe et les avancées sur les projets en pâtissaient. Nous avons décidé de limiter la fréquence de ces moments au mardi et au jeudi.

Par ailleurs, la clôture se révélant être un bon moyen de communication (savoir prendre le temps d’écouter les autres, c’est pas mal) nous réfléchissons à mettre en place un temps pour l’effectuer dans le cadre de l’équipe encadrante.

Bilan personnel

L’expérience de prendre part à une équipe d’encadrement de ce type m’a, en trois mois, apporté de nouvelles connaissances :

  • des découvertes techniques, comme l’utilisation d’un nouveau langage ou d’un outil,
  • la mise en place de nouvelles méthodes de travail,
  • des apprentissages dans l’action de transmettre et de gérer des problématiques de groupes,
  • etc.

J’ai hâte de voir ce que le futur de l’année nous réserve et comment nous allons en équipe répondre aux problématiques qui vont apparaître. Pourquoi pas un retour d’expérience l’an prochain ?

Pour aller plus loin

D’autres structures qui proposent une pédagogie différente :

Un peu de lecture :

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