30 ans de web, mais toujours pas d’accessibilité

Dans la dernière étude de WebAim (février 2020), le constat est fait que sur un échantillon d’un million de pages web, on trouve en moyenne 60 erreurs d’accessibilité par page !

Ce nombre est en augmentation de 2,1 % par rapport à l’étude précédente de 2019. Et il s’agit d’anomalies qui ont été trouvées par le biais de tests automatisés.

Au Québec, le RAAMM (Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain) montre que ce sont plus de 82 % des sites qui ont un niveau d’accessibilité faible voire sont inutilisables.

Moins de 20 % des sites Web évalués atteignent une cote « passable » d’accessibilité.

Comment en est-on arrivé là ?

Pourquoi en 2020, 86 % des pages web ont des contrastes de couleur trop faibles ou 66 % d’entre elles n’ont pas d’alternatives pour les images ?

Pourtant l’histoire du web avait bien commencé. Le web a été conçu pour être accessible.

L’inventeur du Web Sir Tim Berners Lee le rappelle lui-même :

« La puissance du web réside dans son universalité. L’accès de tous, indépendamment du handicap, est un aspect essentiel.1 »

En tant que professionnels et professionnelles, nous avons donc une lourde responsabilité dans ce qui arrive.

Et tous les niveaux de la chaîne de production sont concernés. L’accessibilité numérique n’est pas la responsabilité d’un corps de métier plus que d’un autre. De la conception sur papier à la mise en production en passant par la gestion de projet nous avons tous notre part à jouer.

Nous avons aussi une responsabilité éthique, comme le rappelait Lainey Feingold, au mois d’octobre, lors de la soirée de lancement de Accessibility Toronto (début à 1h38).

Une responsabilité qui repose par exemple sur le fait de concevoir des pages accessibles dès le début, plutôt que de se reposer sur des solutions techniques de surcouches (overlays) qui brisent l’accessibilité.

L’accessibilité concerne tous les corps de métiers du web.

Bien sûr, les personnes qui développent ou intègrent le front-end ont une grosse responsabilité puisque les outils d’assistance se basent principalement sur le code et le DOM (Document Object Model).

Si le code comporte des erreurs, ou si des éléments HTML sont détournés de leur fonction primaire, les dommages pour certains utilisateurs peuvent être importants.

Souvent se pose alors la question non seulement de la connaissance (formation au HTML, CSS), mais aussi de l’empathie vis-à-vis des utilisateurs des solutions que nous développons et mettons sur le marché.

En tant que professionnels du web, on ne peut se contenter de dire « cela fonctionne sur ma machine ». Il nous faut comprendre comment les utilisateurs et utilisatrices de nos sites naviguent et connaître les outils qui sont à leur disposition.

Et même chez les géants du web, on est encore loin d’avoir ce niveau de compréhension et d’attention. Petite anecdote, récemment arrivée à Robert Kingett, un auteur aveugle, en contact avec le service à la clientèle d’Amazon. Il la raconte ici dans son article : Why can’t Amazon adopt a culture of accessibility ?.

Lorsqu’il indique à son correspondant que le site d’Amazon n’est pas accessible avec son lecteur d’écran, on lui explique qu’on pourra l’aider à régler la luminosité de son écran. On voit le chemin qu’il reste à parcourir en cette fin d’année 2020 pour sensibiliser tous les acteurs du web.

 

L’accessibilité concerne plus de personnes que vous pourriez l’imaginer.

Une tendance que je vois souvent est la limitation de l’accessibilité aux lecteurs d’écrans et aux utilisateurs aveugles ou malvoyants.

Il est vrai qu’une lecture rapide des règles de conformité (WCAG / Section 508) pourrait faire penser que l’on s’adresse majoritairement aux besoins de ces utilisateurs.

Si l’on regarde les chiffres des clientèles de l’accessibilité, les personnes qui déclarent avoir une incapacité visuelle ne représentent que 5,4 % de la population au Canada (source Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017) ou 4,6 % de la population aux États-Unis.

Les personnes ayant des limitations motrices, quant à elles, représentent environ entre 14 % à 15 % de la population en Amérique du Nord.

(Sources CDC.gov pour les États-Unis et Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017 pour le Canada).

Les moyens d’adaptations pour permettre la navigation sur le web sont nombreux, mais restent pour beaucoup méconnus des professionnels du web.

Ce n’est pas parce que votre site est parfaitement accessible à un lecteur d’écran qu’il le sera nécessairement pour un utilisateur équipé d’un contacteur à la paille ou d’un souffleur par exemple.

Historiquement, dans le développement des règles d’accessibilité, ce sont les communautés de personnes aveugles et malvoyantes qui ont été les plus organisées et les plus actives pour défendre leur perspective.

Dans les versions plus récentes de WCAG (2.1 et 2.2) de nouvelles règles viennent répondre aux besoins d’autres utilisateurs.

On peut par exemple citer une meilleure prise en compte :

  • des troubles vestibulaires (mal des transports) ;
  • de la surdité ;
  • des troubles cognitifs (comme par exemple le déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité).

L’accessibilité est là pour répondre aux besoins de tous les utilisateurs et toutes les utilisatrices. Il faut donc toujours faire attention, lors de la conception ou du développement d’une fonctionnalité, d’inclure plusieurs cas d’usage.

Revenons aux lecteurs d’écrans. Sur les cinq dernières années, ceux-ci ont fait de gros progrès, sont désormais inclus dans les principaux systèmes d’exploitation ou existent en version gratuite et open source.

Le JavaScript est très bien supporté ainsi que de nombreuses fonctionnalités de CSS. Pour autant, votre utilisateur pourrait très bien recourir à d’autres outils d’assistance qui n’offrent pas le même support.

Aussi dans des cas de connexion lente, il est possible que le CSS et le JavaScript mettent beaucoup de temps à se charger, bloquant la compréhension ou l’utilisation de certaines pages.

En Amérique du Nord, les connexions haut débit restent des exceptions, concentrées dans les grandes agglomérations et à leurs alentours. Il suffit parfois de s’éloigner d’une centaine de kilomètres des grands centres urbains, même dans l’Est pour se trouver dans des zones qui sont des déserts en matière de connectivité à Internet ou aux réseaux de téléphonie 4G voire 3G.

Par exemple sur cette carte du Québec et de l’Ontario pour la couverture de Bell Mobilité, le plus important opérateur au Canada, on voit de nombreux trous, même entre Toronto et Montréal, les 2 principales agglomérations du pays.

À l’heure où l’on parle beaucoup de la 5G, il faut garder en tête que même en France, les régions rurales de l’Est ou montagneuses sont encore loin d’être toutes couvertes en 4G (voir la couverture Orange Mobile en France).

Et ironie du sort, des zones rurales vont perdre leur connectivité Internet haut débit pour laisser la place à la 5G.

Plus encore il faut aussi se souvenir que le transfert de données n’est pas toujours illimité.

Toujours en Amérique du Nord, contrairement à l’Europe, le coût des services Internet est élevé et le moindre dépassement de consommation de données s’avère très onéreux.

Pour nous, concepteurs et conceptrices de sites web il faut donc prévoir ces cas de faible connectivité, notamment en limitant le chargement de JavaScript ou d’éléments multimédias lourds (images, vidéos).

Il est important de prévoir et d’offrir des alternatives (texte alternatif pour les images, retranscription textuelle pour des fichiers sons ou vidéo).

L’utilisation d’un langage complexe est souvent la première barrière d’accessibilité.

Selon Statistique Canada (2012) et les organismes d’alphabétisation canadiens, près de 50 % des Canadiens éprouvent des difficultés à lire et à écrire. Les recherches démontrent que ceux dont le taux d’alphabétisation est faible :

  • passent beaucoup de temps à tenter de comprendre les mots qui ont plusieurs syllabes ;
  • lisent un mot à la fois et déplacent leurs yeux lentement le long de chaque ligne de texte ;
  • ignorent souvent de grandes quantités d’information si le texte comporte trop de longs mots, de termes inhabituels ou de longues phrases.

Les mêmes erreurs toujours et encore

Reprenons du côté de l’étude de WebAim, si l’on regarde les erreurs les plus communes, on trouve :

  • Les contrastes de couleur trop faibles (86.3 % contre 85.3 % en 2019)
  • Les alternatives manquantes aux images (66.0 % en baisse par rapport à 2019, 68 %)
  • Les champs input sans étiquettes (label) (53,8 % contre 52,8 % en 2019)

Toutes ses erreurs extrêmement fréquentes peuvent être évitées dans les premières phases de conception d’un site ou d’une application, avant même de commencer à coder. Ou pour certaines d’entre elles, être évitées hors du code, quand les contributeurs peuvent modifier ces éléments sans l’intervention des programmeurs.

Il est triste de constater qu’à part pour les textes alternatifs, toutes les autres sources d’erreurs sont en hausse depuis l’étude de 2019.

Toujours dans cette même étude on trouve

  • liens vides (86.3 % contre 85.3 % en 2019)
  • boutons vides (86.3 % contre 85.3 % en 2019)

Le choix technique d’un framework ou d’un gestionnaire de contenu (CMS) peut avoir un fort impact sur la future accessibilité d’un site.

Il est essentiel de vérifier quelles sont les connaissances en accessibilité des équipes derrières les projets .

Pour les projets open source, un bon indicateur est d’aller voir dans GitHub les anomalies étiquetées accessibilité.

Quel est le délai de réponse pour ces anomalies, les membres de la communauté comprennent-ils d’où vient l’erreur et quels impacts elle a sur les utilisateurs ?

La lecture des commentaires dans GitHub autour des anomalies d’accessibilité offre un bon éclairage du niveau de connaissance de l’accessibilité et de la présence ou de l’absence totale d’empathie par certaines équipes de réalisation.

Pour celles et ceux qui connaissent l’accessibilité, il peut-être utile d’aider notamment soit de s’impliquer directement ou de contribuer dans le code ou les commentaires dans GitHub. Le simple fait d’expliquer concrètement les enjeux que rencontrent les utilisateurs, de proposer des pistes de solutions favorise une meilleure prise en compte de l’accessibilité.

Les outils de surcouche d’accessibilité web (« overlays »)

Ce sujet est devenu très à la mode cette année, car nombreux sont les joueurs dans cette industrie qui ont pu lever des fonds ou ont été rachetés par d’autres entreprises.

Le souci avec les overlays, est qu’au-delà d’un marketing très agressif, il n’y a souvent aucun bénéfice pour l’accessibilité en elle-même, en donnant l’illusion que l’on peut résoudre tous les enjeux d’accessibilité par une simple ligne de code.

Dans bien des cas, il a été montré, qu’au mieux les outils de surcouche n’arrangent rien à l’inaccessibilité d’un site2.

Mais parfois le faux remède peut s’avérer pire que le mal en augmentant encore les erreurs et en créant plus de barrières pour les utilisateurs.

Souhaitons-nous qu’en 2021 nous puissions toutes et tous, à notre niveau, améliorer l’accessibilité de nos sites.

Et que nous gardions toujours en tête qu’à la fin ce sont des humains qui utilisent nos solutions numériques.

Sources

  1. « The power of the Web is in its universality. Access by everyone regardless of disability is an essential aspect. » https://www.w3.org.
  2. Les outils de surcouche d’accessibilité web : mensonges et boules de gomme, Julie Moynat

Un commentaire sur cet article

  1. QuentinC, le vendredi 18 décembre 2020 à 12:05

    Bonjour,

    C’est toujours la même chose : dans la vie réelle comme dans la vie numérique, tant qu’il n’y a pas d’obligation forte réellement contraignante, presque tout le monde continuera à se ficher royalement de l’accessibilité.
    C’est d’autant plus dommage que 80% des problèmes sont faciles à résoudre et changent la vie de 80% des personnes concernées.
    La top list de WebAIM en témoigne…

    Je ne peux m’empêcher de rire quand je reçois des annonces pour ces soit-disant systèmes miracles qui rendent les sites accessibles en un clic.
    Je n’arrive pas à comprendre comment un bullshit pareil arrive encore à passer.
    Comment peut-on encore financer les créateurs de ces mensonges ? Comment les clients arrivent encore à y croire ?

    Je ne peux qu’abonder dans le sens de cet article. Par ignorance et par manque de volonté, on continue encore et toujours à croire n’importe quoi et répéter les mêmes erreurs.
    Alors en cas de doute, ayez l’esprit critique ! Vérifiez par vous-mêmes ou faites vérifier par quelqu’un qui sait de quoi il parle.

    Merci pour ce rappel, qui, hélas, est toujours autant nécessaire en 2020.