Être bénévole chez Emmaüs Connect

De nos jours, le numérique est omniprésent dans nos vies, qu’on le veuille ou non. Et cette omniprésence, de nombreuses personnes la subissent au quotidien. Tout au long de mon parcours professionnel dans le web, je mettais un point d’honneur à l’accessibilité numérique. Aujourd’hui, je rêve surtout d’un web inclusif, qui inclut autant les personnes handicapées mais aussi tout un panel d’utilisatrices et utilisateurs différents, quelle que soit la langue parlée, la culture, le niveau d’éducation, l’accès matériel ou encore les connaissances en numérique.

En devenant bénévole chez Emmaüs Connect, je me suis prise une petite claque. Cette fracture numérique, on en a beaucoup parlé lors du premier confinement (un peu comme toutes les autres fractures sociales). Les gens se sont retrouvés coincés chez eux, à devoir travailler ou suivre des cours à distance, essayer de garder contact avec son entourage, faire les démarches administratives en ligne sans l’aide de qui que ce soit, retrouver et imprimer (ou recopier manuellement) l’attestation qui nous permettait de sortir.

Dans ce monde ultra connecté, on s’est soudainement rendu compte que tout le monde n’était pas connecté, n’avait pas ou ne pouvait pas avoir accès à tous ces merveilleux outils en ligne, pour de multiples raisons.

Emmaüs Connect est une association qui lutte depuis 2013 contre l’exclusion numérique et cherche à faire du numérique une chance pour toutes et tous. Il y a douze points d’accueil en France. La transition numérique s’accélère en France et renforce davantage les difficultés que peuvent rencontrer les personnes précaires notamment. L’association accompagne les bénéficiaires en leur proposant un bagage numérique minimum, à savoir accéder à internet et pouvoir faire ses démarches administratives en toute autonomie. À chaque point d’accueil, les bénéficiaires peuvent également acquérir des forfaits mobiles et internet, des smartphones ou encore des ordinateurs portables à tarifs solidaires.

Je suis devenue bénévole chez Emmaüs Connect à Lyon en juillet dernier. J’avais envie de m’engager dans une association dont je partageais les valeurs et je me suis dit pourquoi ne pas partager mes compétences dans le numérique.

© Emmaüs Connect

Les permanences connectées, ou comment se prendre en pleine face les problèmes d’accessibilité et d’ergonomie

Ma mission récurrente, et que je préfère, est ce qu’on appelle une « permanence connectée Â». Il s’agit d’un rendez-vous de 1 h 30 où la personne vient pour un — ou parfois plusieurs — problème qui peut les bloquer au quotidien. Ce rendez-vous se fait généralement en tête-à-tête, avec un·e bénévole par bénéficiaire.

En vrac, les problématiques peuvent être :

  • consulter ses mails depuis un ordinateur et non pas un smartphone,
  • comment installer WhatsApp,
  • comment récupérer un mot de passe oublié,
  • comment faire une demande de formation sur Mon Compte Formation,
  • apprendre à utiliser le clavier et la souris,
  • comment gérer ses fichiers sur un ordinateur ou une clés USB,
  • comment se connecter à un réseau wifi,
  • comment envoyer une pièce jointe via un formulaire,
  • etc.

Les demandes sont très vastes et concernent autant l’utilisation d’un ordinateur ou d’un smartphone que celle d’un site web en particulier. Mais il y a quelques soucis assez récurrents et que je retrouve presque à chacune de mes permanences.

Les vilains mots de passe

Le mot de passe semble être quelque chose de très abstrait, la plupart des personnes ne s’en souviennent pas ou se retrouvent avec un petit bout de papier glissé dans leur portefeuille, ou au fond de leur sac, avec toute une liste de mots de passe souvent utilisés (spoiler alert : parfois, il n’y a qu’un seul mot de passe sur ce bout de papier, le même pour tous les sites).

La création ou pire, la récupération, d’un mot de passe a toujours été un moment de stress pour les personnes que j’ai aidées. Et il faut dire qu’aujourd’hui, avec la double authentification de certains services (Google, Yahoo, Outlook), les démarches peuvent être d’autant plus compliquées quand on n’a pas ou plus de téléphone.

J’essaie à chaque fois de leur expliquer, tant bien que mal, l’importance d’un mot de passe, pourquoi celui-ci doit comporter tant de caractères (incluant majuscule, chiffres et caractères spéciaux) et surtout, qu’il ne faut jamais l’oublier. Je leur donne aussi parfois quelques astuces pour avoir un mot de passe simple à mémoriser mais suffisamment complexe pour que ça passe.

Je me retrouve alors aussi confrontée à ces demandes de plus en plus farfelues lors de la création d’un mot de passe. Et je comprends complètement pourquoi ces personnes, pas très à l’aise avec le numérique, n’y arrivent pas, m’arrachant moi-même parfois les cheveux.

Les maudits messages d’erreur

Les problèmes de mot de passe sont bien souvent associés à des messages d’erreurs, qui sont l’élément déclencheur du stress chez nos utilisatrices et utilisateurs. J’ai pu constater que les messages d’erreurs font peur.

Oui, ce gros pictogramme rouge et ce texte écrit en rouge, qui parfois bloque toute la navigation du site parce que le message s’affiche dans une pop-up qu’il faut d’abord fermer avant de poursuivre, oui, tout ça, ça a effrayé tous les bénéficiaires que j’ai pu aider, sans exception.

Certaines personnes se sentent même désemparées, ne comprenant pas toujours qu’il y a un message explicatif à lire et qui peut les guider, leur expliquer d’où provient l’erreur.

Bien sûr, dans ces cas-là, il peut y avoir le manque de culture numérique qui peut jouer, mais je ne peux m’empêcher de me demander comment est-ce qu’on pourrait améliorer ça, comment faire en sorte que même les personnes qui ne touchent pratiquement jamais à un ordinateur puissent s’en sortir sans avoir l’impression d’être incapables de surmonter cette erreur.

Je ne mentionne même pas les messages d’erreur non-explicites, comme le classique « identifiant incorrect Â», vous vous doutez bien qu’à ce stade-là nous les avons complètement perdu·e·s et certain·e·s préféreront abandonner, d’où leur inscription à une permanence connectée.

L’exemple parfait d’un message d’erreur non explicite, sur un site très utilisé par les bénéficiaires d’Emmaüs Connect, après avoir renseigné un mauvais mot de passe. On retourne à l’étape « Nom d’utilisateur Â» mais rien n’indique que nous avons tapé un mauvais mot de passe.

Fermez-moi ces pop-up !

Les pop-up, ou tous ces trucs qui s’affichent à tort et à travers sur une page web, ça aussi, ça bloque. Sur mobile, c’est encore pire. Entre les cookies, les abonnements à la newsletter, les bandeaux pour télécharger l’application mobile (si vous êtes sur mobile), les messages d’erreurs ou de confirmation et j’en passe, beaucoup me confiaient la souris en me disant « je ne sais pas quoi faire, ça ne marche plus quand je clique sur la page, faites-le s’il vous plaît Â».

Quand le code HTML n’est pas bon

Pour l’intégratrice web que je suis depuis 12 ans, je repère très vite les « petites Â» erreurs de codage rien qu’à l’utilisation du site. Et quand je vois un·e bénéficiaire galérer à remplir un formulaire parce que les <label> ne sont jamais rattachés aux <input>, que le contraste du texte est insuffisant (s’il vous plait, arrêtez avec ce gris clair illisible) ou que cela devient compliqué de naviguer et consulter un site web parce qu’on a zoomé le texte, cela me révolte.

Je suis désolé·e, je ne suis pas doué·e en informatique…

Parce qu’à chaque fois, la réaction de ces personnes est la même : ils ou elles s’excusent de ne pas savoir faire, de ne pas réussir à lire parce qu’ils ou elles ont oublié leurs lunettes, de ne pas savoir cliquer correctement sur un élément (dont la zone de clic est bien trop réduite), de ne pas être « doué·e en informatique Â». Mon rôle n’est plus de leur montrer comment faire mais surtout de les rassurer, leur redonner confiance.

Double scroll qui bloquait complètement la bénéficiaire, avec un écran 13  Â» et un navigateur zoomé à 133 %. Elle n’arrivait pas à naviguer correctement sur le site.

Dans ces moments-là, le référentiel du WCAG défile dans ma tête et je peste intérieurement contre l’équipe qui a conçu le site, qui n’a pas su bien faire les choses et tenir compte de l’accessibilité dans la conception du site. Et je ne parle pas de petits sites e‑commerce mais bien de gros sites administratifs ou institutionnels. On manque encore cruellement de sensibilisation, de formation à l’accessibilité numérique, que ce soit à l’école ou au sein des entreprises.

 

Les formations d’initiation

Une de mes dernières grosses missions en tant que bénévole, juste avant le reconfinement, a été d’animer une session de formation d’initiation au numérique sur une durée de deux semaines, en partenariat avec Pôle Emploi. Ça a été dense, riche et très formateur, autant pour moi que pour les bénéficiaires. J’avais déjà pu animer des formations dans un cadre professionnel mais bien évidemment le public n’était pas le même.

Là, j’avais face à moi un groupe de personnes qui avaient entre 40 et 60 ans à la recherche d’un emploi mais pour qui c’était compliqué, de par leur âge pour certain·e·s, la maîtrise de la langue française pour d’autres mais surtout la non-maîtrise de l’outil informatique. Cela les bloquait dans tout un tas de démarches à faire obligatoirement en ligne aujourd’hui, que ce soit sur le site de Pôle Emploi ou des agences d’intérim par exemple.

Certain·e·s demandaient de l’aide à leur voisinage, d’autres à leur conjoint ou enfants. Mais bien souvent ils ou elles éprouvaient de la honte à demander de l’aide pour quelque chose d’aussi banal que l’informatique.

Par le biais de cette formation, j’ai pu découvrir le génial site Les Bons Clics qui est très utilisé chez Emmaüs Connect. Ce site aura été ma trame tout au long de la formation, avec des cours aux explications simples et beaucoup d’exercices qui permettent de mettre très vite en pratique la théorie. Les apprenant·e·s étaient aussi ravi·e·s de pouvoir revoir ces cours plus tard, à la maison (pour ceux et celles qui ont un ordinateur et une connexion internet) et certain·e·s ont même refait des exercices.

La partie « apprenante Â» sur Les Bons Clics.

 

Mais une formation d’initiation, c’est quoi ?

On commence par les bases, à savoir apprendre ce qu’est un ordinateur, internet, comment utiliser la souris et le clavier. Puis on avance petit à petit, on apprend à naviguer sur internet, à faire une recherche, à créer une adresse mail et envoyer un e‑mail, à utiliser un logiciel de traitement de texte, à transférer des fichiers sur une clé USB, à remplir un formulaire en ligne, à mettre à jour sa situation et son CV sur le site de Pôle Emploi.

Les niveaux varient, quelques personnes avaient déjà utilisé un ordinateur mais pour les autres, c’était bien souvent la première fois. À l’identique des permanences connectées, à chaque exercice je me prenais de plein fouet toutes ces petites « erreurs Â» de conception, ces icônes trop petites à atteindre avec la souris, ces champs de formulaire où le placeholder « gris clair Â» a remplacé le label, ces pop-up difficiles à fermer, ce texte trop petit, ces gros menus déroulant dont le javascript plantait.

Il existe tout un tas de parcours organisés par Emmaüs Connect de Lyon en partenariat avec d’autres structures et associations de la région, incluant autant les seniors que des parents d’élèves par exemple.

© Emmaüs Connect

Ce que cette expérience m’apporte

Cette expérience humaine m’apporte de la joie avant tout, une certaine satisfaction d’être utile, d’apporter mon aide à ces personnes pour qui le numérique est presque aussi infranchissable que l’Himalaya. On ne s’en rend pas bien compte quand on grandit, comme moi, avec un clavier et une souris entre les mains, même en étant sensibilisée sur le sujet.

En tant que professionnelle du web, je crois que toutes ces missions restent les meilleurs tests utilisateurs qui soient. Tout le monde n’utilise pas les outils numériques de la même manière, quelle que soit la raison, ce que je trouve justement fascinant. Il y a encore tant de choses à revoir, à réfléchir, à améliorer dans ce milieu qui évolue constamment (et bien souvent trop vite, au détriment de beaucoup de gens).

Mais avoir un site web accessible ne fait pas tout, il y a tout une démystification du numérique à faire, une transition en douceur, un vrai accompagnement physique qu’on devrait pouvoir retrouver dans les lieux publics et un peu plus d’ordinateurs en livre-service.

Quand on est bénévole chez Emmaüs Connect, nous ne sommes pas juste des « expert·e·s Â» du numérique, nous sommes parfois assistant·e sociale ou conseiller·ère Pôle Emploi le temps d’un rendez-vous. On les écoute, on les conseille sur le peu qu’on sait en matière de droit. Parfois, nous sommes même la seule personne que les bénéficiaires auront vu de la journée. Et je trouve ça plutôt chouette justement, de se rassembler, de créer ce lien humain autour de ces outils qui ont tendance à nous isoler, nous éloigner les un·e·s des autres.

Et même si parfois les bénéficiaires n’ont pas toujours tout compris et ne sauront peut-être pas reproduire de suite ce que je viens de leur apprendre, les voir ressortir d’une permanence connectée ou d’une formation avec un grand sourire, plus de confiance et l’envie de revenir pour en apprendre d’avantage, je me dis que ma mission est réussie.

10 commentaires sur cet article

  1. Charles, le mardi 1 décembre 2020 à 10:56

    Bravo pour ton engagement et merci pour ce retour ! J’ai deux questions rapides :
    • Dans le cadre d’une permanence connectée, t’es-tu déjà retrouvée totalement bloquée devant un problème que l’on t’a soumis ?
    • Ces permanences connectées représentent combien d’heures par semaine environ ?

  2. Nico, le mardi 1 décembre 2020 à 15:26

    Déjà, commençons par le début : merci pour cet article :)

    > ou comment se prendre en pleine face les problèmes d’accessibilité et d’ergonomie

    C’est le point saillant quand on conçoit : on se dit « pas grave, ce n’est qu’un détail »… sauf que non. Le moindre détail est potentiellement une monstre gamelle pour quelqu’un dans un contexte donné. Accessibilité/qualité/technique/etc.

  3. Jennifer, le mardi 1 décembre 2020 à 16:40

    Bonjour Charles,

    Pour répondre à tes questions :
    – Il y a eu des situations assez complexes où je pensais être bloquée, principalement dans la récupération de mot de passe, avec la double authentification via un smartphone par exemple. Mais j’ai toujours réussi jusqu’à présent à aller jusqu’au bout, quitte à totalement réinitialiser le mot de passe (avec l’accord de la personne bien sûr et en lui expliquant pourquoi).
    – Tu peux faire autant de permanences connectées que tu le souhaites, perso je fais une permanence par semaine en moyenne (parfois deux si besoin), une permanence toutes les deux semaines ou une permanence par mois, c’est selon tes disponibilités. C’est ça qui est chouette, tu es assez libre en tant que bénévole sur ton temps d’investissement. :)

  4. Anne-Sophie, le mercredi 2 décembre 2020 à 08:45

    Merci pour cet article hyper intéressant ! Je ne connaissais pas « Les bons clics Â» mais je vois qu’ils ont aussi une section pour les accompagnants, je vais explorer ça.

  5. Nicolas Chevallier, le jeudi 3 décembre 2020 à 08:33

    Je ne connaissais pas cette initiative, en effet si je pouvais trouver un peu de temps pour aider je m’orienterais vers une aide au numérique. En plus de la partie technique, il faut une bonne dose de pédagogie (visiblement!), mais partager son savoir doit être la plus belle des récompenses.

    Merci d’avoir partagé votre engagement !

  6. Florens, le jeudi 3 décembre 2020 à 17:32

    Merci Jennifer pour ce retour d’expérience. Ça donne envie de s’y mettre !

  7. TotoSolde, le vendredi 4 décembre 2020 à 18:26

    Merci à Jennifer pour son billet, et à tous les auteurs et autrices, ce blog est super, je découvre !

  8. Laurent, le mercredi 9 décembre 2020 à 11:30

    Merci Jennifer pour cet article ô combien utile !

    J’avais eu l’occasion d’assister à une permanence connectée d’Emmaüs Connect il y a quelques années, au moment où j’avais envisagé de les rejoindre en tant que bénévole.

    Ce qui m’avait marqué à l’époque, au-delà de la détresse des personnes qui viennent c’est la patience et la pédagogie des bénévoles pour expliquer des choses qui nous semblent tellement évidentes !

    Je trouve que chaque étudiant·e qui se destine à un métier du web devrait assister à une session !

  9. Vangeles, le dimanche 13 décembre 2020 à 09:07

    Bonjour,
    Merci pour l’article, j’étais intéressé aussi pour du bénévolat, retraitée de l’informatique que je suis. Mais il ne semble pas exister de structure près de chez moi (49).
    Pour autant, dans ma petite ville, nous animons une structure de vulgarisation à l’informatique, en partenariat avec « Mission Jeunesse Aînée Â». le montage de ce type de structure est assez aisé dès le moment où la mairie fournit des locaux. Mais nous ne touchons que des personnes qui sont équipées, les aidant à utiliser du matériel qu’elles ont déjà.
    La formule d’Emmaüs Connect semble toucher les personnes ENCORE PLUS ÉLOIGNÉES du numérique, et c’est cette approche qui me manque.
    J’essayerai de convaincre notre petite mairie de fournir et réserver un créneau d’accueil pour cette population qui a sûrement plus besoins de nos conseils et aides.
    Merci aussi pour les références.
    Vanille.

  10. Éric, le vendredi 18 décembre 2020 à 09:56

    Bonjour,
    Merci pour ton message.
    Je pense qu’on va se rencontrer sur Lyon un de ces quatre, car ton partage d’expérience m’a donné « envie Â» de m’impliquer.
    Éric