Faire et défaire : Pénélope, l’écoconceptrice d’aujourd’hui

Mettre en place des pratiques plus responsables. Imaginer de nouvelles façons de faire. Mais aussi déconstruire la manière dont on s’est habitués à vivre et consommer. C’est le lot de tous ceux qui s’engagent pour la société d’aujourd’hui et réfléchissent à celle de demain. Et ça s’applique aussi au web. Fabrication des équipements informatiques, transport et stockage de données, maintenance : on estime que 3,8 % des gaz à effet de serre du monde sont dus au numérique ! Dans mon agence, en tant que concepteurs de sites Internet, ça nous pose pas mal de questions. Comme Pénélope défaisant la nuit le travail réalisé la journée, on a donc décidé de remettre en question tout ce qu’on croyait savoir de notre métier. Et on s’est lancés dans une voie convoitée mais abrupte : celle de l’écoconception web.

Des personnages s'activent et déplacent des formes abstraites. Au loin, on voit que ces formes s'insèrent dans un édifice global.
Illustration par Hélène Starck.

Autant le dire tout de suite, nous ne prétendons pas nous ériger en parangons des bonnes pratiques de l’écoconception web. Mais on travaille dur pour les intégrer à notre métier. En fait, on y pensait sans savoir par quel bout prendre le sujet. Le déclic est arrivé grâce à la rencontre avec le collectif GreenIT et la découverte des 115 bonnes pratiques d’écoconception web. En 2018, notre agence est déjà labellisée B Corp, agir de manière responsable pour l’environnement et vis-à-vis de nos équipes, dans notre management, est pour nous une préoccupation quotidienne. Et on se dit qu’on peut aller encore plus loin en concevant des sites Internet moins polluants.

Repenser la technique

Notre premier réflexe est de réfléchir d’un point de vue technique. Mathias, l’un des cofondateurs de l’agence, se met au travail avec l’équipe des développeurs pour améliorer la performance énergétique des sites Internet que nous concevons pour nos clients. Aujourd’hui, deux ans plus tard, ils ont mis en place un outil qui permet de consommer nettement moins d’énergie sur WordPress, le système de gestion de contenus qu’on a pour habitude d’utiliser. Cet outil, appelé Ecobuilder, nous permet de générer des sites statiques.

Un site statique, c’est quoi ? Normalement, lorsqu’un internaute se rend sur une page web, celle-ci interroge un serveur, qui lui répond en générant une interface à afficher à l’écran sur la base de multiples paramètres. Ça signifie que la page est reconstruite à chaque fois que l’utilisateur souhaite se rendre dessus. Dans le cas d’un site statique, l’interface est déjà générée pour chacune des pages. Le serveur renvoie donc directement la page demandée. Non seulement il n’a pas à refaire le travail à chaque fois, mais il le fait aussi beaucoup plus vite ! Nous savons qu’il existe beaucoup de critiques sur WordPress et nous les entendons. Même avec les améliorations apportées par Ecobuilder, le back-office d’un site propulsé par WordPress reste lourd et énergivore. Cependant, il n’est utilisé seulement quelques heures par semaine par nos clients, au moment où ils veulent ajouter de nouveaux contenus. À l’utilisation, le site, lui, est largement optimisé.

Nous faisons également le choix de construire nos sites à partir de blocs réutilisables, qui sont comme des ressources renouvelables. On a développé une grande bibliothèque de blocs de différents formats. Ils peuvent être très simples, une image ou un encadré texte par exemple, ou, au contraire, inclure une collection compliquée d’éléments. Chaque nouvelle page est un agencement de plusieurs blocs. Cela permet de ne pas repartir de zéro à chaque fois et de réutiliser le travail déjà effectué. Du recyclage digital, en quelque sorte.

En parallèle de ça, on fait également en sorte de construire des sites moins énergivores, compatibles avec un grand nombre de terminaux. Cela veut aussi dire que ce n’est pas la peine d’acheter un nouveau smartphone dernier cri pour les consulter et, ça aussi, c’est bon pour la planète.

Optimisation fonctionnelle et graphique

Parallèlement, on a embarqué toute l’équipe dans une formation de plusieurs jours avec Fanny, formatrice RSE chez Des enjeux et des hommes, afin que tout le monde acquiert des outils pour appréhender la question complexe de l’écoconception à son niveau et dans son domaine : conseil, conception graphique, conception technique. Parce que l’écoconception web, c’est loin d’être simplement du technique. C’est même surtout autre chose.

La réflexion doit venir bien en amont, au niveau du design, de l’ergonomie graphique et de manière plus générale dans l’acte métier. Il est nécessaire de réfléchir à une écoconception fonctionnelle, c’est-à-dire concevoir un site qui se concentre sur l’essentiel et qui évite les fonctionnalités superflues. En gardant en tête qu’il ne doit pas juste être plus écologique, il doit être utile, utilisable et utilisé. Au quotidien, il y a un vrai travail de conseil et d’accompagnement pour clarifier les besoins de nos clients, identifier les outils qui leur sont indispensables et ceux dont ils peuvent se passer. En un mot, il faut répondre à un besoin et non à une envie.

Enfin, un site écoconçu, c’est aussi un site épuré. Cela ne veut pas dire pauvre graphiquement mais, dès la phase de conception, il faut réfléchir aux économies de ressources : optimiser les parcours, n’afficher que les éléments importants, à la demande. L’objectif est de montrer rapidement aux internautes les contenus pertinents pour qu’ils réduisent leur temps passé sur le site et qu’ils téléchargent le moins de données possible. Il est également nécessaire d’opter pour des partis pris graphiques peu énergivores : pas de vidéos si elles ne sont pas nécessaires, optimiser les typographies en n’embarquant que les graisses et glyphes nécessaires, alléger les images et les pièces téléchargeables, choisir les formats SVG. En somme, privilégier tout ce qui réduit l’empreinte environnementale du site et des infrastructures physiques (serveurs, ordinateurs des internautes), avec un mode sombre par exemple.

Toute la difficulté réside dans le placement du curseur entre un site ultra responsable et une belle interface. Il s’agit de trouver des solutions pour concilier impact visuel et impact écologique.

Difficile de tout changer du jour au lendemain

Aujourd’hui, certains clients sont mûrs, d’autres ne le sont pas. Beaucoup se disent en faveur de l’écoconception sans vraiment savoir de quoi il s’agit. Le marché est dans un entre-deux qui n’est pas évident à gérer. Nous avons choisi d’avancer petit à petit. On ne force pas les choses. D’abord parce que notre agence ne se résume pas aux convictions d’un petit groupe d’initiés. Nous sommes une équipe de 23 personnes, toutes caractérisées par des pratiques, des connaissances et une histoire différentes. On ne peut pas, d’un seul coup, tirer un trait sur ces singularités. Certes, toute l’équipe partage les mêmes valeurs mais il y a des questionnements en interne, et c’est sain. Par exemple, de nombreuses contraintes ont fait leur apparition dans nos processus créatifs, lesquels s’inscrivent désormais dans une réflexion bien plus globale que de simples considérations esthétiques. C’est stimulant, mais c’est aussi une remise en question permanente des anciennes pratiques et l’invention, au quotidien, de nouvelles façons de créer.

Pouvoirs publics, à vous de jouer !

Notre démarche répond aux réglementations actuelles en matière de numérique responsable et anticipe celles à venir. Nous sommes convaincus que les politiques publiques ont un rôle crucial à jouer. Par l’implémentation de mesures fortes, elles doivent contraindre les entreprises et organisations (dont nos clients !) à mettre sur un pied d’égalité transitions écologique et numérique.

Des réglementations, labels et normes existent déjà à l’échelle internationale et européenne. En France, depuis février 2020, la loi « anti-gaspillage » pour une économie circulaire, bien que dans les faits encore peu appliquée, est un pas en avant vers une responsabilisation de l’usage des outils digitaux. En parallèle, des mesures et propositions de plus en plus nombreuses commencent à voir le jour, notamment grâce à l’action d’associations et collectifs engagés, à l’image de GreenIT.fr ou de HOP (Halte à l’obsolescence programmée). Parmi les actions récentes les plus notables, on retient la proposition PT12.1 de la Convention citoyenne pour le climat, qui devrait être opérationnelle d’ici 2021, mais aussi la proposition de loi pour une transition numérique responsable présentée au Sénat le 12 octobre 2020. Cette dernière ne fait pas l’objet d’un calendrier précis pour le moment, mais une feuille de route devrait être rendue par l’État d’ici la fin de l’année. Ces initiatives se concentrent sur des axes de travail primordiaux pour une transition vers un numérique plus responsable : information et éducation des utilisateurs du numérique à propos de l’impact environnemental de celui-ci, limitation du renouvellement des terminaux, ou encore promotion du développement d’usages du numérique écologiquement vertueux.

En attendant une éventuelle loi, on travaille et on progresse. Notre démarche est à la fois profondément humble et résolument impliquée. Parce qu’on veut être prêt. Et parce qu’on y croit.