Accessibilité : conformité vs. réalité

Depuis le décret sur l’accessibilité numérique paru le 24 juillet 2019, toutes les entités concernées par l’obligation d’accessibilité numérique sont, entre autres, tenues de publier une déclaration d’accessibilité pour chacun de leurs services en ligne (comme les sites internet, les progiciels, les applications mobiles ou même le mobilier urbain numérique).

Dans la section « Résultats des tests » de cette déclaration d’accessibilité, qui est un document dont les contenus sont réglementés, il est spécifiquement exigé d’y déclarer un taux de conformité qui, citons, « permet de mesurer les progrès du service en ligne eu égard à la conformité aux exigences d’accessibilité ».

Par exemple, pour un site internet, ce taux de conformité est le plus couramment obtenu à la suite d’un audit sur la base du RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité). Comme vous le savez très probablement déjà, le RGAA étant le référentiel officiel en France qui permet d’évaluer l’accessibilité d’un site internet.

Description dans la légende ci-après.

Capture d’écran du pied de page d’un site internet et de son lien « Accessibilité : totalement conforme » qui permet d’atteindre la déclaration d’accessibilité.

Nous reviendrons bien entendu plus en détail dans cet article sur la manière dont sont calculés ces taux de conformité au RGAA.

En attendant et avant de poursuivre sa lecture, si vous souhaitez en savoir plus sur ce cadre réglementaire français relatif à l’accessibilité numérique, nous vous invitons à prendre connaissance de ces deux ressources :

  • Mais qu’expriment ces taux de conformité ?
  • Sont-ils des indicateurs fiables concernant le niveau réel d’accessibilité aux personnes en situation de handicap ?
  • Un taux de conformité très élevé est-il gage d’une très bonne accessibilité aux personnes en situation de handicap ?
  • À l’inverse, un taux de conformité relativement bas traduit-il forcément un faible niveau d’accessibilité pour ces mêmes personnes ?

C’est entre autres à ces questions que nous apporterons réponses à travers cet article.

À noter que dans la suite de cet article, nous nous appuierons exclusivement sur des exemples relatifs à des taux de conformité de sites internet sur la base du RGAA. Toutes ces démonstrations sont tout à fait transposables à d’autres types de supports comme des applications mobiles ou des documents bureautiques ainsi qu’à d’autres référentiels.

Également, avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous paraît important de signaler que l’objectif de cet article n’est aucunement de remettre en question le RGAA, mais plutôt de se pencher sur les taux de conformité, ses limites actuelles et ses dérives.

Bien que perfectible et nécessitant des actualisations (comme la plupart des référentiels), le RGAA est un excellent outil pour contrôler l’accessibilité d’interfaces web. Il est même de notre point de vue et à notre connaissance, le référentiel d’évaluation le plus complet et efficace pour cela, et ce tous pays confondus.

Les taux de conformité au RGAA

Obtention à la suite d’un audit

Les taux de conformité au RGAA d’un site internet sont obtenus à la suite d’un audit principalement manuel de celui-ci. La plupart du temps (sauf si le site possède un très faible nombre de pages et qu’il est raisonnable de toutes les auditer), un audit RGAA est réalisé sur un nombre limité de pages que l’on appelle un échantillon représentatif.

L’audit consiste à vérifier l’ensemble des tests des 106 critères du référentiel (en version 4.1) sur chaque page de l’échantillon. Ces critères qui sont classés dans différentes thématiques (« Images », « Cadres », « Couleurs », « Multimédia », etc.).

Méthodes de calcul

Un audit RGAA permet actuellement d’obtenir deux taux de conformité à la norme : le taux de conformité global et le taux de conformité moyen.

Les méthodes de calcul de ces deux taux sont les suivantes :

  • Le taux de conformité global est obtenu en divisant le nombre de critères conformes par le nombre de critères applicables.
  • Le taux de conformité moyen est quant à lui obtenu en faisant la moyenne des taux de conformité de chaque page auditée.

Comme cette différence n’est pas toujours aisée à percevoir, prenons un exemple concret.

Tableau d’exemples évaluant quatre critères sur trois pages
  Page 01 (accueil) Page 02 (contact) Page 03 (mentions légales)
Critère 1.1 Non conforme Non conforme Non conforme
Critère 1.2 Conforme Non conforme Conforme
Critère 1.3 Conforme Conforme Conforme
Critère 1.4 Non applicable Non applicable Non conforme

Sur cet exemple, quatre critères sont testés sur trois pages distinctes :

  • Le critère 1.1 est non-conforme partout.
  • Le critère 1.2 est conforme partout sauf sur la page 02 (contact).
  • Le critère 1.3 est conforme partout.
  • Le critère 1.4 est non-applicable partout, sauf sur la page 03 (mentions légales) où il est applicable et non-conforme.

Ainsi :

  • Le taux de conformité global de cet exemple est de 25 % car seul le critère 1.3 est applicable et n’est jamais non-conforme sur l’échantillon.
  • Le taux de conformité moyen est quant à lui de 50 %. Il s’agit de la moyenne des taux de conformité page à page :
    • Page 01 : 66,66 % (2 critères conformes sur 3 applicables).
    • Page 02 : 33,33 % (1 critère conforme sur 3 applicables).
    • Page 03 : 50 % (2 critères conformes sur 4 applicables).

Il est à noter qu’un taux de conformité moyen sera logiquement toujours supérieur au taux de conformité global.

Si vous souhaitez en savoir plus sur les distinctions entre ces deux taux de conformité, nous vous recommandons la lecture de cet article : « RGAA : quelle différence entre taux de conformité global sur l’échantillon et taux moyen ? ».

Obligation de publication

Comme déjà indiqué plus haut, une des obligations légales d’accessibilité numérique consiste à communiquer ce taux de conformité au RGAA dans la déclaration d’accessibilité du site.

D’après la mention indiquée dans la section « Taux de conformité à la norme » des obligations d’accessibilité, il est possible de communiquer le taux global et/ou le taux moyen :

« Ce taux peut indiquer le pourcentage de critères respectés ou le niveau de conformité moyen du service en ligne. »

Description dans la légende ci-après.

Affichage du taux de conformité au RGAA dans le pied de page d’un site.

Des indicateurs fiables sur le niveau réel d’accessibilité ?

Il est très rare d’obtenir un taux de conformité à 100 % dès le premier audit, dès lors, quand un site est analysé au regard du RGAA, il révèle généralement un taux inférieur à 100 %.

Dans la suite de cet article, pour nos démonstrations et sur la base de nos expériences d’auditeurs, nous considérerons qu’un taux de conformité faible équivaut à moins de 50 %, moyen entre 50 % et 80 % et élevé entre 80 % et 100 %.

Une fois obtenus, ces taux reflètent-ils vraiment le niveau réel d’accessibilité du site aux personnes en situation de handicap ?

Très concrètement, par exemple, un taux de conformité faible veut-il dire que les personnes en situation de handicap rencontreront de très grosses difficultés à l’utilisation du site ?
Inversement, un taux de conformité élevé traduit-il forcément que ces mêmes personnes ne rencontreront aucun frein lors de leur navigation ?

Il est temps pour nous d’arrêter de faire durer le suspense (et vous vous en doutez très certainement depuis l’introduction 😉) :

Non ! Même si ça n’est pas systématique, assez fréquemment, un taux de conformité ne reflète pas la réalité d’accessibilité qui sera constatée par vos utilisatrices et utilisateurs.

Par exemple, un site peut très bien avoir un taux de conformité moyen voire élevé mais être en réalité très peu accessible aux personnes en situation de handicap.

Il est donc important de bien distinguer et ne pas confondre taux de conformité à la norme et niveau réel d’accessibilité.

Nous vous proposons d’étudier cela plus en détail dans la partie suivante de cet article.

Les limites des taux de conformité

Limite 1 : différents degrés de pertinence

Comme indiqué plus haut, le RGAA est composé de 106 critères. Parmi ces critères, certains demandent de vérifier seulement la présence d’éléments et d’autres la pertinence de ces mêmes éléments, voici quelques exemples (loin d’être exhaustifs) :

  • Le critère 1.1 demande de vérifier la présence d’alternatives textuelles aux images informatives puis le critère 1.3 demande de vérifier leur pertinence.
  • Le critère 2.1 demande de vérifier la présence de titres aux cadres puis le critère 2.2 demande de vérifier leur pertinence.
  • Le critère 4.3 demande de vérifier la présence de sous-titres pour les vidéos puis le critère 4.4 demande de vérifier leur pertinence.
  • Le critère 8.3 demande de vérifier la présence d’une déclaration de la langue principale de la page puis le critère 8.4 demande de vérifier la pertinence de la langue principale déclarée.
  • Etc.

Ce découpage a un intérêt fort pour les outils de vérification automatique de l’accessibilité : l’évaluation d’un critère de présence est en effet aisément automatisable, là où l’évaluation d’un critère de pertinence l’est beaucoup moins et nécessite bien souvent une évaluation humaine et manuelle.

Il y a également un intérêt léger dans la séparation entre présence et pertinence qui permet dans certains cas de pondérer un taux de conformité en fonction d’un niveau réel d’accessibilité.

Prenons l’exemple du critère 4.3 et du critère 4.4 qui vérifient respectivement la présence des sous-titres sur une vidéo puis la pertinence de ceux-ci si présents.

Pour une vidéo qui n’est pas sous-titrée :

  • Le critère 4.3 (présence) sera non-conforme.
  • Le critère 4.4 (pertinence) sera non-applicable.

À l’échelle de ces deux critères, le taux de conformité sera donc de 0 %.

Pour une vidéo qui est sous-titrée mais pour laquelle il manque quelques informations :

  • Le critère 4.3 (présence) sera conforme.
  • Le critère 4.4 (pertinence) sera non-conforme.

À l’échelle de ces deux critères, le taux de conformité sera donc de 50 %.

Ainsi, le taux de conformité sera plus faible sur un contenu où les éléments d’accessibilité sont absents que sur un contenu où les éléments sont présents mais non-pertinents.

Mais les utilisateurs et utilisatrices vous le diront, il y a pertinence et… PERTINENCE.

Prenons un second exemple d’une image informative reprenant des données importantes codée via une balise <img /> et dont l’alternative textuelle (son attribut alt) serait simplement « ceci est une image ».

Le taux de conformité au RGAA associé à cette image serait donc de 50 % car l’image possède bien une alternative textuelle (critère 1.1) mais celle-ci n’est pas pertinente (critère 1.3).

Si cette image n’avait pas eu d’alternative, le taux aurait été de 0 %.

Pour autant et par exemple, pour une personne aveugle naviguant avec un lecteur d’écran (synthèse vocale et/ou plage braille), que l’image dispose de l’alternative « ceci est une image » ou qu’elle n’ait rien, cela ne change pas grand-chose : le contenu de l’image n’est pas accessible.

La présence d’éléments d’accessibilité sans pertinence forte n’a donc pas de sens côté usage.

Le taux de conformité se limite à l’évaluation de la présence et de la pertinence avec une réponse binaire : oui ou non. Si l’on souhaite intégrer le niveau d’accessibilité réel dans un indicateur, il devient alors nécessaire d’évaluer le niveau de pertinence :

  • Si des sous-titres sont présents, sont-ils pertinents ? Si non, s’agit-il de quelques mots manquants ou bien de sous-titres totalement inadaptés ?
  • Si des alternatives aux images sont présentes, reprennent-elles toutes les informations ? Une partie ? Quelle est la part de criticité de l’information manquante ?
  • Etc.

Mais cette question de la pertinence n’est pas la seule, quid du nombre d’occurrences d’erreurs pour un critère donné ?

Limite 2 : volumétrie des erreurs identifiées

L’évaluation de la conformité RGAA est assez « binaire » : un critère est soit conforme soit non conforme (nous n’abordons pas ici le fait qu’il puisse également être non-applicable car cette valeur est sans incidence sur les taux de conformité).

Le statut de chaque critère testé ne tient pas compte du volume de non-conformités ou de conformités relevées. Cela veut dire que le nombre plus ou moins important de points positifs ou d’erreurs pour chaque critère conforme ou non conforme n’influe pas sur les taux de conformité.

Autrement dit et dans les faits, un critère non conforme avec une seule erreur a exactement le même poids dans le calcul des taux que ce même critère non conforme avec une multitude d’erreurs. Et ce de la même manière pour un critère conforme.

Alors que côté accessibilité effective, l’impact pour les personnes en situation de handicap n’est pas comparable.

Prenons un premier exemple concret de deux sites internet possédant tous les deux approximativement le même nombre de liens (disons 500).

Imaginons que le premier site possède un seul lien non conforme sur 500 (intitulé du lien non explicite, par exemple) tandis que le second une multitude (499 liens non explicites sur 500).

Le taux de conformité global serait impacté de la même manière pour ces deux sites.
Alors que côté accessibilité réelle, le premier site serait quasiment irréprochable en la matière tandis que le second potentiellement inutilisable notamment pour les personnes naviguant avec un lecteur d’écran.

Nous pourrions imaginer pleins d’autres exemples de ce type :

  • Un seul contraste insuffisant à travers tout un site contre une multitude sur un autre.
  • Une seule vidéo non sous-titrée sur un site contre la plupart sur un autre.
  • Un seul composant d’interface riche (un bouton dépliant, par exemple) non accessible au clavier sur un site contre la quasi-totalité (le menu principal déroulant, les fenêtres modales, les accordéons, etc.) sur un autre.
  • Etc.

Un taux de conformité peut ainsi très rapidement se retrouver faible, voire très faible, et ce même si le nombre total d’erreurs, et donc l’impact réel sur les personnes en situation de handicap, est lui aussi faible.

Mais, nous direz-vous à juste titre, une alternative manquante sur une image, même avec 99 autres images dont l’alternative est conforme peut s’avérer bloquante pour une personne en situation de handicap. C’est effectivement le point que nous souhaitons désormais aborder.

Limite 3 : criticité des non-conformités

À moins d’être à 100 %, sans aucune exemption ni dérogation, un taux de conformité ne peut pas révéler un niveau d’accessibilité pour l’utilisatrice ou l’utilisateur car il n’intègre aucune évaluation de criticité.

En effet, et comme abordé plus haut, imaginons un site internet parfaitement conforme au RGAA, à l’exception d’un ou deux critères causés par un bouton non accessible.

Le taux de conformité serait alors probablement compris entre 95 et 99 %.
Et pourtant, l’impact pour les personnes en situation de handicap serait très différent s’il s’agit d’un bouton pour se connecter, s’inscrire ou encore confirmer une démarche administrative ou s’il s’agit d’un bouton pour relayer une actualité sur un réseau social.

Un site internet peut par exemple principalement proposer des :

  • Formulaires pour accomplir des démarches en ligne.
  • Vidéos de rediffusion d’émissions de télévision.
  • Tableaux de données de comparaison de prix.
  • Contenus informatifs.
  • Photos d’œuvres d’art.
  • Documents PDF en téléchargement.
  • Etc.

Et cette notion de « missions premières » d’un site n’est pas prise en compte dans le calcul de ses taux de conformité. Cela semble normal et justifié pour calculer une simple conformité qui doit légalement et simplement être à 100 %. Mais dès que l’on affiche un taux de conformité inférieur, même à 99 %, la notion de criticité devient une information essentielle.

Pour illustrer ce propos, prenons deux exemples.

Imaginons tout d’abord un site dont le taux de conformité global serait de 95 % mais dont les 5 % manquants concerneraient des points très bloquants portant sur des fonctionnalités et/ou des contenus essentiels du site. Ce taux élevé pourrait laisser penser que le niveau d’accessibilité aux personnes en situation de handicap est très bon. Alors qu’en réalité non.

  • Si les 5 % manquants seraient dus à l’absence de sous-titres sur toutes les vidéos d’un site de rediffusion d’émissions TV, l’accessibilité serait fondamentalement nulle pour l’ensemble des personnes sourdes et malentendantes.
  • Si les 5 % manquants seraient dus à une incompatibilité du module de connexion d’un site d’une banque en ligne avec des lecteurs d’écran, l’accès aux services bancaires serait totalement impossible aux personnes aveugles ou fortement malvoyantes.

À l’inverse, imaginons maintenant un autre site dont le taux de conformité global serait de 65 % mais dont les 35 % manquants concerneraient des points très peu critiques portant sur des fonctionnalités et/ou des contenus secondaires du site. Ce faible taux pourrait laisser penser que le niveau d’accessibilité aux personnes en situation de handicap est très faible. Alors qu’en réalité pas forcément.

  • Si les 35 % manquants seraient dus à de nombreux problèmes d’accessibilité sur les fonctionnalités de partage vers les réseaux sociaux d’un site e‑commerce mais que l’ensemble des autres fonctionnalités (recherche, consultation, ajout dans le panier, paiement) seraient parfaitement conformes, l’expérience des personnes en situation de handicap serait vraisemblablement majoritairement positive.
  • Si les 35 % manquants seraient dus à des problèmes d’accessibilité sur les champs d’un formulaire de contact où il serait également mis à disposition une adresse email directe et un numéro de téléphone eux accessibles, les personnes pourraient être freinées dans la prise de contact avec le service mais disposeraient d’une alternative.

Attention !

Notre propos et ces exemples ne visent évidemment pas à dire qu’il n’est pas nécessaire de rendre la totalité d’un site accessible aux personnes en situation de handicap. Il en va de soi.

L’objectif est plutôt de démontrer qu’il pourrait être pertinent d’intégrer une pondération complémentaire, notamment lorsqu’un taux de conformité est inférieur à 100 %.

Nécessité de pondérer les conformités/non-conformités

Tous les critères du RGAA ont leur raison d’exister. La prise en compte de tous ces critères, et ce sans exception, est donc nécessaire pour garantir la bonne utilisation d’un site à toutes les personnes en situation de handicap.

Autrement dit, le non-respect d’un seul critère peut avoir un impact négatif pour une ou plusieurs de ces personnes.

Tous les critères du RGAA ont d’ailleurs le même poids dans le calcul des taux de conformité.

Alors que côté accessibilité réelle, on peut légitimement avancer que le non-respect de certains critères par rapport à d’autres peut avoir un impact différent (plus ou moins fort) pour les personnes en situation de handicap.

En effet, et comme nous venons de le voir :

  • Un critère peut être invalidé sur des degrés de pertinence différents : une alternative à une image peut être non pertinente parce qu’il manque une partie de l’information, toute l’information voire parce que l’information fournie est totalement erronée.
  • Un critère peut être invalidé sur des volumes d’erreurs différents : une alternative sur 500 peut être non pertinente, tout comme 499 sur 500.
  • Un critère peut être invalidé sur des criticités différents : une alternative (même sur 500) peut être non pertinente et totalement bloquante pour les utilisateurs et utilisatrices, tout comme relativement superflue.

Dans ces trois cas de figure, le taux de conformité restera le même et nous espérons vous avoir convaincu, ce taux (sauf à être à 100 %) ne peut pas être exploité pour identifier un niveau réel d’accessibilité.

Si la conformité à 100 % permet d’obtenir la garantie d’une bonne accessibilité, à un niveau inférieur, le taux de conformité ne peut pas représenter un taux d’accessibilité. À 50 % ou à 99 %, en l’état, on ne peut pas identifier le niveau d’accessibilité sans indicateurs supplémentaires.

Il est donc indispensable d’aller plus loin et de réfléchir ensemble à des indicateurs supplémentaires tenant notamment compte des attentes et retours des personnes en situation de handicap. Ne sont-elles en effet pas les mieux (et seules ?) placées pour évaluer notamment cette question de la criticité ?

Si seul l’objectif d’une conformité claire, nette et précise à 100 % au RGAA était fixé, la question d’évaluer la pertinence, la volumétrie et la criticité se poserait probablement moins. Grâce à l’évolution du cadre légal, le sujet de l’accessibilité numérique est plus régulièrement mis en avant et pris en compte en France, mais en parallèle, les déclarations d’accessibilité et la publication obligatoire du taux de conformité engendrent également de nombreuses et malheureuses dérives, nous y reviendrons un peu loin…

Le périmètre restreint d’un audit

Au-delà des limites des taux de conformité que nous venons de mettre en avant, gardons en tête qu’ils sont le fruit d’un audit, qui lui aussi, a ses limites.

Même en imaginant gommer les défauts des taux de conformité actuels ou en concevant des indicateurs complémentaires plus proches des utilisatrices et des utilisateurs, on pourrait encore difficilement garantir une accessibilité réelle avec la façon dont sont menés des audits.

Échantillonnage et temporalité

Pour rappel, la grande majorité du temps, l’audit de conformité au RGAA d’un site se réalise sur la base d’un nombre limité de pages.

Aussi, en toute logique, un audit de conformité est réalisé à un moment donné.
(À noter en passant qu’il doit être mis à jour ou reproduit seulement sous certaines conditions indiquées dans la section « Validité de la déclaration d’accessibilité » des obligations d’accessibilité.)

Par conséquent, les taux de conformité et le niveau réel d’accessibilité révélés à la suite de cet audit sont fiables et valables uniquement sur cet échantillon de pages auditées et à un instant T.

  • Mais qu’en est-il de la conformité ainsi que du niveau réel des pages auditées passé cet instant T ?
  • Quid également de la conformité et du niveau réel de toutes les autres pages du site non auditées ?

Très difficile (voire impossible) de répondre à ces questions sans mener des audits exhaustifs fréquemment renouvelés. Ce qui est malheureusement, pour de nombreuses raisons, très peu pertinent voire contre-productif.

Nous pouvons sans souci affirmer qu’un site peut très bien avoir un taux de conformité élevé et un très bon niveau réel d’accessibilité seulement sur les pages auditées mais avoir un taux et un niveau réel très faible sur toutes les autres pages.

De la même manière, un site peut très bien avoir un taux élevé et un très bon niveau réel seulement au moment de l’audit. Et ces taux et niveau peuvent très rapidement diminuer peu de temps après (à la suite d’évolutions sur le site, par exemple).

Il est donc important de retenir ici qu’un taux de conformité et un niveau réel sont seulement valables sur les pages auditées et à un moment donné. Mais ils ne sont aucunement gage des mêmes taux et même niveau plus tard et/ou sur les autres pages.

Environnements de test

Un audit de conformité au RGAA intègre la notion d’environnements de test.

En résumé, il est attendu que l’accessibilité de certains contenus et certaines fonctionnalités soient vérifiés sur différentes combinaisons d’agents utilisateurs (systèmes d’exploitation, navigateurs et technologies d’assistance).

Ces environnements de test sont, de manière pragmatique, limités qu’à un certain nombre de ces versions d’agents utilisateurs.

Comme à l’accoutumée, prenons un exemple concret.

Si un site est accessible avec les combinaisons de navigateur et lecteur d’écran suivantes, alors il est considéré conforme au RGAA :

  • Firefox (dernière version) sous Windows / NVDA (dernière version).
  • Firefox (dernière version) sous Windows / JAWS (version précédente).
  • Safari macOS (dernière version) / VoiceOver (dernière version).
  • Safari iOS (dernière version) / VoiceOver (dernière version).

Cela veut dire qu’en pratique, il n’est pas obligatoire que le site soit testé avec tous les nombreux autres agents utilisateurs et versions d’agents utilisateurs du marché.

Comme, par exemple :

  • Sur d’autres systèmes d’exploitation (Android, par exemple).
  • Sur d’autres navigateurs (Chrome ou Edge, par exemple).
  • Sur d’autres lecteurs d’écran (TalkBack ou Narrateur, par exemple).
  • Sur d’autres technologies d’assistance (Switch Control sur iOS ou Switch Access sur Android, par exemple).

Mais force est de constater que ces agents utilisateurs non référencés dans ces environnements de test sont utilisés par de nombreuses personnes en situation de handicap.

À ce sujet, nous vous invitons à prendre connaissance des résultats de ce sondage : Screen Reader User Survey #9 Results.

Et il se peut malheureusement que le site ne soit pas pleinement compatible avec ces autres agents utilisateurs et donc non accessible aux personnes en situation de handicap s’en servant.

Un site pourrait donc être entièrement conforme au RGAA sur ce sujet des environnements de test mais s’avérer en réalité non ou peu accessible pour certaines personnes en situation de handicap utilisant des agents utilisateurs en dehors de ces environnements de test.

Nous sommes évidemment bien conscients qu’il est très difficilement envisageable (voire même impossible) de systématiquement tester l’accessibilité des sites sur la totalité des agents utilisateurs du marché et leurs sous-versions.

Cela entraînerait une considérable et infinie charge de travail.

Toutefois, il pourrait être intéressant de se pencher sur une mise à jour de ces environnements de test notamment en vue de les étendre et de les rendre davantage fidèles aux usages actuels.

Complexité de l’interface

Une autre notion non prise en compte dans la conformité et le calcul des taux est celle de la complexité du site internet.

Prenons l’exemple d’un site particulièrement complexe composé de très nombreux composants d’interface riche (carrousels, systèmes d’onglets, fenêtres modales, notifications, formulaires conséquents, etc.) parfois même imbriqués les uns dans les autres.

Techniquement, ce site pourrait très bien respecter la totalité des critères du RGAA et donc être 100 % conforme.

Mais, compte tenu de sa richesse et de sa complexité élevée, s’avérer très difficilement utilisables par certaines personnes en situation de handicap.

On touche ici tout doucement du doigt aux notions d’ergonomie, d’UX et de simplification des interfaces.

Le respect des critères d’accessibilité et par conséquent du RGAA sont nécessaires pour assurer une accessibilité réelle pour les personnes en situation de handicap.

Mais une conformité seule, sans réflexion liée, entre autres, au fonctionnel et à l’ergonomie, peut s’avérer non suffisante.

Les dérives liées aux taux et aux audits

Comme déjà précisé dans l’introduction, une des obligations d’accessibilité impose de communiquer un des deux taux de conformité (ou les deux) dans la déclaration d’accessibilité du site.

Une autre obligation, jusqu’à présent non abordée avec vous, impose d’apposer une des trois mentions suivantes a minima sur la page d’accueil du site :

  • « Accessibilité : totalement conforme » qui doit être utilisée si le taux de conformité est de 100 %.
  • « Accessibilité : partiellement conforme » qui doit être utilisée si le taux de conformité se situe entre 50 % et 99 %.
  • « Accessibilité : non conforme » qui doit être utilisée si le taux de conformité est inférieur à 50 %. Ou si aucun audit n’a été réalisé.

Depuis l’arrivée de ces deux obligations, nous avons remarqué avec regret qu’elles ont une très forte tendance à cristalliser les échanges.

Les organismes et les personnes engagés dans des démarches d’accessibilité numérique ont tendance à se focaliser uniquement sur ces taux de conformité et ces mentions.

Ils sont trop souvent devenus la finalité, l’aboutissement de cette démarche.

Les échanges concernant les attentes d’accessibilité des personnes en situation de handicap ont malheureusement été remplacés par des questions de « pourcentage », « score » et autres « points » de conformité.

Ce qui entraîne une très fâcheuse tendance à reléguer les personnes en situation de handicap et leurs attentes au second plan, à les invisibiliser.

Dans le meilleur des cas, l’objectif est d’obtenir le meilleur taux de conformité possible (le fameux 100 %). Ce qui est très louable, mais dans les faits, l’immense majorité des sites internet ne font que tendre vers cet objectif, et comme nous l’avons vu précédemment cela n’est pas suffisant.

Dans d’autres cas, malheureusement bien moins louables et trop fréquents, l’objectif est seulement d’atteindre 50 % de conformité pour pouvoir apposer la mention « Accessibilité : partiellement conforme », plutôt que la mention « Accessibilité : non conforme » qui véhicule une nettement moins bonne image…

Dans notre quotidien professionnel, et c’est très certainement pareil du côté de nos consœurs et confrères expertes et experts accessibilité numérique, on nous demande très régulièrement de prioriser les demandes de correction issues des audits uniquement en vue d’augmenter ces taux de conformité pour atteindre un seuil psychologique satisfaisant (75 %, 80 %, etc.).

Alors que pour de l’accessibilité réelle, si la priorisation est vraiment inévitable, elle devrait principalement (voire exclusivement) se faire sur des notions de points de blocage, de criticité, de volumétrie et d’impact pour les personnes en situation de handicap.

L’accessibilité numérique aux personnes en situation de handicap ne se résume pas à un taux de conformité et à une mention d’accessibilité.

En passant, nous pensons qu’il serait souhaitable de remplacer ces mentions « Accessibilité : non/partiellement/totalement conforme » par des mentions du type « Non/Partiellement/Totalement conforme au RGAA ».

Ce qui pourrait permettre d’atténuer quelque peu cette confusion entre conformité et réalité.

Par ailleurs, on pourrait également imaginer retirer la mention « Partiellement conforme » qui n’apporte, nous l’avons vu, aucune valeur sur le degré d’accessibilité réel.
L’idéal serait peut-être d’inclure les pondérations évoquées plus haut pour affiner et préciser la mention « non conforme ».

Dérogations et exemptions

Une autre dérive importante relative à ces taux et cette mention consiste à invoquer de manière abusive des dérogations pour charge disproportionnée ainsi que des exemptions.

Les critères du RGAA sont non applicables à ces éléments dérogés et exemptés. Par conséquent, ils n’influent pas sur les taux de conformité.

Il peut donc être très tentant de déroger et exempter « à tout va » en vue de favoriser l’obtention de meilleurs taux de conformité.

Le CERTAM (Centre d’Évaluation et de Recherche sur les Technologies pour les Aveugles et les Malvoyants) a justement mis en lumière plusieurs cas concrets de ces invocations injustifiées notamment dans l’article « Accessibilité numérique : halte aux petits et gros arrangements avec le RGAA ! Résumé – rappels sur le RGAA ».

Ce qu’il faut retenir

Un audit RGAA permet de mesurer des taux de conformité aux obligations légales d’accessibilité à un instant donné et uniquement sur l’échantillon des pages analysées.

Comme démontré à travers cet article, bien souvent, ces taux de conformité ne reflètent pas le niveau réel d’accessibilité de l’entièreté du site aux personnes en situation de handicap.

Car ces taux de conformité sont obtenus sans tenir compte des notions suivantes qui peuvent avoir un impact positif ou négatif plus ou moins conséquent sur les personnes en situation de handicap :

  • Le degré de pertinence plus ou moins élevé des erreurs et points positifs relevés.
  • La volumétrie des erreurs ou points positifs identifiés.
  • Le niveau de criticité (d’impact utilisateur et utilisatrice) des erreurs remontées.
  • Le périmètre limité de l’audit (instant T, échantillon de pages, environnements de test restreints, etc.).
  • Le niveau de richesse et de complexité du site audité.

Quelques pistes ont été abordées dans cet article en vue de réduire l’actuel écart trop important existant entre taux de conformité à la norme et niveau réel d’accessibilité aux personnes en situation de handicap.

De notre point de vue, s’il ne fallait retenir qu’une seule de ces pistes d’amélioration, il s’agirait sans aucun doute d’étudier une manière d’intégrer les personnes concernées par ces attentes d’accessibilité dans les évaluations d’accessibilité.

Plus brièvement, cet article a aussi été l’occasion de mettre ou remettre en lumière des dérives liées à la seule course au meilleur taux de conformité toujours au détriment de l’accessibilité réelle aux personnes en situation de handicap.

Comme entamer une démarche d’accessibilité pour seulement obtenir un certain taux de conformité en vue d’apposer une mention d’accessibilité la plus flatteuse possible à moindre coûts et moindre effort, ou encore invoquer des dérogations et exemptions abusives et injustifiées.

Conclusion

La conformité aux normes d’accessibilité est obligatoire et nécessaire mais elle est bien souvent insuffisante pour garantir une bonne et réelle accessibilité aux personnes en situation de handicap.

Il est donc très important de prendre du recul vis-à-vis des taux de conformité et des mentions d’accessibilité, ils ne doivent pas être une fin en soi.

En d’autres termes, une réelle démarche d’accessibilité numérique ne consiste pas à se contenter d’un audit et à obtenir 100 % de conformité. Une réelle démarche d’accessibilité numérique c’est s’intéresser aux attentes des personnes en situation de handicap, les (re)mettre au cœur du sujet.

Cela pouvant entre autres passer par l’organisation fréquente et continue de tests avec des utilisatrices et utilisateurs, évidemment en complément de tout ce que vous avez déjà l’habitude de lire : sensibilisation et formations des équipes, prise en compte du sujet tout au long des projets, évaluation continue, etc.

L’accessibilité numérique n’est pas un simple pourcentage ni une mention de conformité, ce doit être une garantie d’accès et de compréhension des contenus par les personnes en situation de handicap.

N’hésitons pas à « réinventer » les déclarations d’accessibilité pour les rendre pédagogues, explicites et à l’écoute des retours des utilisateurs et utilisatrices en situation de handicap.

Sur les questions de taux, WCAG (Web Content Accessibility Guidelines) 3.0 devrait évoluer et intégrer une pondération permettant de se rapprocher des besoins des personnes en situation de handicap : WCAG 3.0 : What you need to know about the future of accessibility standards.

Dans un article publié il y a quelques semaines, Karl Groves aborde également cette question du taux d’accessibilité : So, you want an accessibility score ?

Le RGAA est un excellent outil d’évaluation de l’accessibilité ! Travaillons maintenant ensemble pour imaginer des indicateurs pertinents pour les équipes projet comme pour les utilisatrices et utilisateurs en situation de handicap.

Enfin, dans votre quête vers une conformité maximale, n’oubliez pas que l’accessibilité ne s’arrête pas aux interfaces numériques, il faut y veiller et la garantir jusqu’au services proposés :

  • Un site de réservation de taxi parfaitement accessible devient nettement moins intéressant si les véhicules ne sont pas adaptés ou les chauffeurs et chauffeuses ne sont pas sensibilisé·e·s et refusent d’accueillir des chiens d’assistance à bord.
  • Un site de réservation de séjours de vacances même parfaitement conforme au RGAA ne fournira pas la même expérience d’utilisation si les lieux proposés ne sont physiquement pas accessibles.
  • Etc.

Nous aurions encore plein de sujets à aborder sur cette thématique mais il est temps pour nous d’arrêter pour être publiés avant le 25 décembre. 😉
Il n’est pas impossible que nous poursuivions les réflexions dans les commentaires.

Merci à toutes et tous pour votre lecture et nous vous souhaitons plein de plaisir dans vos démarches vers une meilleure conformité accessibilité numérique !

Merci également à l’équipe de 24 jours de web de nous avoir permis d’écrire sur ce sujet qui nous tient à cœur.

Belle fin d’année à toutes et à tous !

3 commentaires sur cet article

  1. QuentinC, le jeudi 23 décembre 2021 à 09:07

    Bonjour,

    Je suis moi-même un utilisateur de lecteur d’écran.
    C’est décevant de constater qu’en fait, les problèmes sont toujours les mêmes depuis 15 ans.

    - On ne fait pas, ou beaucoup trop rarement, tester le site par les véritables utilisateurs concernés
    – On pense à la’ccessibilité beaucoup trop tard au cours du projet, même quand c’est une obligation
    – C’est une obligation gênante qui coûte cher et qui ne sert à rien, donc on en fait le moins possible (et on s’en fout vu que personne ne viendra jamais réclamer)
    – La part d’utilisateurs concernés qui sont intéressés par le service est largement sous-estimée (c’est bien connu, les aveugles ne regardent pas la télé, ne lisent pas les infos, ne vont ni au spectacle ni au match, et ne gèrent pas leurs affaires eux-mêmes)

    Alors même si hélas cet article ne changera rien je le crains, merci de refaire encore et encore des rappels.

    Quand comprendra-t-on que KISS, accessibilité, performance et écologie sont dans le même bateau ?
    Comme le dit si bien Antoine de St. Exupéry, « La perfection est atteinte non pas quand on n’a plus rien à ajouter, mais quand on n’a plus rien à retirer ».

  2. Bertrand, le jeudi 6 janvier 2022 à 16:21

    Bonjour,

    Excellent article. Vous ne parlez pas du rôle du référent accessibilité.

    Cette personne aurait à charge de ne pas se focaliser sur le score mais bien sur la prise en compte du handicap. Surtout si on prend en compte que la déclaration d’accessibilité est accompagnée d’une schéma pluriannuel et d’un plan d’action.

  3. Sébastien Delorme, le lundi 10 janvier 2022 à 11:08

    Bonjour Bertrand, bonjour Quentin,

    Merci pour vos commentaires respectifs.

    En effet, nous n’avons pas abordé le sujet du référent/de la référente accessibilité.
    Là encore, il y aurait beaucoup à dire, mais en effet, cela ferait partie intégralement de son rôle !