Comment j’ai réussi (non) à remplacer les suites propriétaires dans notre mairie

Introduction

Avant d’évoquer le sujet principal de ce billet, et pour comprendre comment est née l’idée de celui-ci, une petite présentation est nécessaire.

Développeur web de profession depuis 15 ans maintenant, j’ai commencé à mettre les mains dans FrontPage et Dreamweaver au début des années 2000. Comme beaucoup à cette époque, je me retrouve sur l’annuaire Framasoft (qui vient de fêter ses 20 ans !) à chercher un script gratuit pour mettre en place un forum ou un livre d’or.

C’est donc à cette période que je découvre, sans réellement le comprendre ni le savoir, le monde du Libre. Sans être extrémiste du Libre, je m’intéresse donc de plus en plus à ce sujet et ses valeurs : partage, mise en commun, entraide.

Début 2013, à l’époque où Google Reader ferme ses portes du jour au lendemain, je me rends compte que j’utilise encore quelques services propriétaires et qui pourraient subir le même sort. J’étais par exemple un grand utilisateur de Pocket. C’est ainsi que j’ai donc décidé de lancer une alternative libre et open source : wallabag.

Voici donc ce qui explique une partie du titre de ce billet.

Passons maintenant à la suite : la mairie.
Début 2018, je me retrouve à la tête d’une équipe municipale et nous remportons une élection partielle.

Maintenant que le sujet est posé, il est temps pour moi de vous faire un retour d’expérience sur comment j’ai tenté — avec ces deux casquettes — de faire évoluer nos solutions informatiques en interne.

Tour d’horizon de l’existant

Dans une mairie, il y a plusieurs services : l’urbanisme, l’état civil, les élections, les cimetières, la comptabilité, la police municipale, les ressources humaines, les services techniques, la jeunesse, le péri-scolaire, le CCAS, et j’en oublie.

Évidemment, lorsque nous sommes arrivés en 2018, toute une organisation était déjà en place et des suites logicielles étaient déjà en place. Chaque service étant différent, avec chacun ses spécificités et ses besoins métier, vous vous doutez bien que nous avons une multitude de logiciels : Microsoft Windows, Microsoft Office, la suite Berger-Levrault, un logiciel pour gérer les points lumineux, l’ensemble des boites mails chez un fournisseur d’accès à internet, etc.

Un des seuls points existants et qui me satisfaisait dès mon arrivée, c’était le fait d’avoir notre site internet géré en interne, et non via un prestataire du type Wix ou autre. Bon, c’était (et c’est encore) un site qui tourne avec WordPress, mais on ne peut pas tout avoir 😁.

Les changements opérés

Dès le début, je me suis pas mal documenté sur les différentes possibilités pour migrer une collectivité dans le monde du libre.

J’ai rapidement découvert Open Mairie, une suite de briques logicielles pour plusieurs des métiers d’une mairie. Bon alors, bienvenue dans le monde du libre et de l’open source : la page d’accueil est légèrement austère. J’ai testé, via leur plateforme de démonstration, certaines applications. Toutes n’étaient pas fonctionnelles. J’ai tenté d’installer ça sur mon serveur, avec plus ou moins de difficultés. Mais en fait, niveau métier : je n’y connaissais rien du tout. Donc je ne pouvais pas me permettre de juger si telle ou telle solution serait efficace.

Et solliciter les agents pour leur demander de prendre du temps pour tester, ce n’était pas possible à l’époque : c’était l’urgence tous les jours.

À cette période, il n’y avait pas vraiment de responsable des services. Nous nous décidons donc à recruter une personne pour ça. Six mois après, le recrutement est fait. Mais ses premiers mois au sein de la mairie passent aussi à une vitesse folle : tout est à réorganiser, tout est à mettre en place.

Le sujet passe un peu en arrière-plan. Et trois ans après, je ne peux que constater que c’est un échec.

Les raisons de mon échec

Le principal souci a été de vouloir gérer ça moi même, parce que « je sais faire ». Alors oui, je sais faire. Oui, je sais installer ce genre de solutions sur un serveur.

Mais ce n’est pas ma mission en tant qu’élu. Et surtout, je n’en ai pas le temps : à côté de la mairie, je suis salarié dans une agence web et mon temps est donc assez restreint.
Et puis je dois penser à la pérennité de la chose : quid du suivi le jour où je ne serai plus en place en tant qu’élu ?

Mais libre ne veut pas dire gratuit. « Il y a un coût de sortie à payer », souligne Pascal Kuczynski, délégué général de l’Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales (ADULLACT). Changer de logiciel nécessite de former les agents, modifier leurs habitudes de travail, parfois d’avoir recours à des prestataires spécialisés pour faciliter la transition des collectivités : maintenance hotline, formation, hébergement, installation… « Il y a des économies de licences au bout de dix ans, mais pas d’argent dans l’immédiat. Il faut réorienter les dépenses vers la transition », appuie Laurence Comparat.

Et donc, c’était là la première étape dans l’échec de ce projet.

Bon… puisque je ne peux pas le gérer moi-même, regardons du côté des prestataires.

Et bingo, il en existe pour la mise en place de ces solutions. Inconvénient : je n’en ai pas trouvé à proximité de notre commune.
Et au vu de l’étendue du sujet, je pense que c’était préférable d’avoir quelqu’un sous la main.

Donc, je n’ai pas plus avancé sur cette piste-là.

Et puis… le temps a passé, et on n’a rien fait. Rien du tout. Pire, on a migré l’ensemble de nos mails sur la suite Google 😓.

La pilule des systèmes d’exploitation est plus dure à faire avaler aux agents municipaux. Malgré la bonne volonté de son équipe informatique, Arles n’a jamais réussi à basculer son parc sur Linux.

Ce qu’il aurait fallu faire autrement

Voici une liste de choses à faire, à mon avis, si vous vous retrouvez dans la même situation que moi :

  • Posez-vous, prenez le temps. C’est à mon avis un chantier plus complexe qu’il n’y paraît.
  • Faites le tour des prestataires. Trouvez-en un en qui vous devez avoir toute confiance.
  • Sollicitez vos agents : au quotidien, vous ne serez pas utilisateur·ices de la plateforme, alors, écoutez vos agents.
  • Faites un gros travail de communication, d’explication et d’accompagnement auprès des agents et même de la population. Sur les bienfaits, sur la gestion des données privées, sur les économies à venir sur le long terme.
  • Agissez par étapes. La résistance au changement arrivera, c’est sûr. Donc je ne pense pas que tout changer d’un coup soit une bonne idée.
  • Testez, échouez, avancez. Comme lors des projets au boulot, j’applique à la mairie le concept d’amélioration continue et ça fonctionne.

Concernant notre collectivité, je ne désespère pas de pouvoir avancer plus concrètement sur ce sujet dans les années à venir.
Les urgences et les incendies dans tous les sens de début de mandat sont derrière nous, donc pourquoi pas avancer sur cette transition avant 2026 ?

Certaines grandes administrations ont franchi le pas (la Gendarmerie Nationale par exemple, avec une migration sur Ubuntu), d’autres ont plus de difficultés (coucou l’Éducation Nationale et les partenariats avec les GAFAM). Pour de petites collectivités, la transition peut être plus difficile (faute de moyens, d’accompagnement et de bras), mais, sait-on jamais ? En tout cas, si vous souhaitez en discuter avec moi, ou si vous souhaitez qu’on mutualise, qu’on échange à propos de nos avancées, vous savez où me trouver.

Une petite citation pour conclure, comme on dit du côté de Framasoft : la route est longue mais la voie est libre.

2 commentaires sur cet article

  1. Franck, le mercredi 8 décembre 2021 à 10:43

    Quand je suis arrivé dans l’équipe municipale, j’étais un peu le « référent informatique » (aïe), et j’avais aussi envie de basculer le plus possible vers du logiciel libre, notamment pour une question de coût mais pas que (partenariats moisis Microsoft à l’école & co.). Il y avait pas mal de boulot, notamment côté emails où il y avait des boîtes orange, des boîtes gmail… J’ai pu basculer sur Thunderbird et des boîtes liées au domaine de la mairie, ça s’est fait sans trop de mal, avec tout de même quelques bémols pour celleux qui venaient de Gmail (qui est tout de même très bien fait, faut le reconnaître).
    J’ai aussi mis en place un Nextcloud pour les échanges sur les dossiers au sein du conseil / bureau municipal, qu’on utilise au quotidien.

    Je souhaitais aussi remplacer la suite Office par Libre Office, mais vu que les postes sont quasi tous fournis en pack complet par Berger-Levrault, il n’y a aucune réelle économie à attendre, et des formations à faire et des efforts à fournir pour l’adaptation des agents à la nouvelle suite. Bon. Comme tu le souligne, il est important d’avoir des interlocuteurs dans le secteur qui puissent accompagner le changement auprès des agents.

    Depuis des années, je demande à ce que les échanges de fichiers se fassent sous Open Document (c’est dans le référentiel général d’interopérabilité -> https://www.numerique.gouv.fr/uploads/Referentiel_General_Interoperabilite_V2.pdf page 40), et je ne reçois que des docx et xlsx… j’ai un peu laissé tomber pour le moment également, la force des habitudes… Mais je ne vais pas abandonner non plus.

    il y a quelques mois, j’ai repéré l’ADULLACT et me suis dit que ça pourrait être un levier intéressant d’aide à la transition… Mais l’intégration de logiciels métiers (dont Berger-Levrault, qui est une pieuvre…) et l’évolution sur certains domaines où on ne m’a pas demandé mon avis (portail famille, B‑L aussi) m’ont un peu refroidi sur une intégration plus large du libre.

    Bref, le bilan est pour le moment assez mitigé, même si des choses ont avancé. Disons aussi que l’évolution de ma fonction de conseiller à adjoint fait qu’il y a beaucoup d’autres chantiers en cours, et que ces évolutions vers le libre sont maintenant passées au second plan (même si je les garde en tête).

  2. Tristan, le mercredi 8 décembre 2021 à 21:34

    Merci pour ce billet très intéressant.

    J’ai bien envie d’apporter mon point de vue de prestataire qui intervient régulièrement dans les collectivités territoriales. Je suis même marié à une secrétaire de mairie, c’est dire.

    Je travaille donc en tant que technicien dans une PME de services en informatique (SSI, SEN, choisissez votre poison) et j’interviens assez régulièrement dans des collectivités territoriales : mairies, foyers logement, communautés de communes (Enfin, plus maintenant. Les regroupements nous ont fait du mal.) et je connais relativement bien les environnements informatiques des collectivités.

    Je constate une hégémonie des solutions Berger Levrault ; JVS, ou encore Arpège, parfois assortis de petits utilitaires tout aussi propriétaires tels que ceux édités par SEDI / ADIC (en voie de disparition, j’ai l’impression), et de « l’indispensable » suite Microsoft Office. Je me posais depuis un moment, suite à la découverte d’Open Mairie justement, de la viabilité des solutions libres dans cet environnement. Et l’article résume bien mon idée, et réponds à mon interrogation : c’est chaud, frère.

    Les solutions Berger Levrault et JVS ne fonctionnent, à ma connaissance, que sur Windows et nécessitent donc un serveur ad-hoc (BL installant du Windows Server avec de l’Hyper‑V par dessus). Permettent des fusions de documents uniquement avec Microsoft Office. On n’est pas vraiment dans l’interopérabilité… Et comme l’a dit Franck dans son commentaire, ce sont des logiciels pieuvre qui couvrent tous les domaines de la collectivité. Donc indispensables.

    Il faut reconnaître qu’il sera dur de supplanter des solutions bien installées, auxquelles les agents sont formés. Et quand on voit que le Centre De Gestion du département a des services pour s’occuper des installations et de la maintenance de BL, et un autre service pour JVS, dur de faire avec autre chose.

    Quitte à déblatérer, j’ai l’exemple d’une mairie avec qui nous travaillons qui a essayé de se passer de Microsoft Office au profit de LibreOffice il y a quelques années, ou alors avec Office uniquement sur des postes clefs. Essentiellement pour des raisons économiques. Ça a été un échec. Entre les tableaux et documents à refaire parce que la compatibilité et / ou les macros posaient problème, l’interopérabilité avec les logiciels métiers (BL de mémoire), et surtout des utilisateurs pas ou peu formées et / ou récalcitrants… Finalement on continue de vendre des licences Office. On y retrouve aussi du FreeCAD et QGIS, c’est déjà pas mal.

    Je ne parlerais pas de la collectivité de mon épouse qui a un site sur Wix, utilise le service Citykomi, des adresses Orange / Wanadoo (alors qu’ils ont un nom de domaine…), ce qui ne manque pas de me faire tousser…

    Mais c’est un beau sujet et j’aimerais voir des collectivités utiliser plus de logiciels libres.