Je travaille dans le Web et je lutte contre le changement climatique !

On nous bat et rebat les oreilles avec le changement climatique, et c’est normal, car c’est probablement le plus grand défi auquel doit faire face l’humanité. Mais voilà, vous êtes informaticien·ne / développeur·euse / product owner / UX designer et vous vous demandez probablement s’il y a un rapport entre le climat et votre métier. Il y en a un, tout comme il y a un rapport entre le climat et à peu près tous les métiers. Mais permettez-moi d’expliquer quelques principes généraux, au risque d’enfoncer des portes ouvertes.

Le changement climatique en quelques mots

Le changement climatique provient de l’émission par l’Humain de gaz à effets de serre, principalement le CO2 (dioxyde de carbone) et le méthane (CH4).
Le CO2 est émis par la combustion de carburants fossiles (pétrole, gaz, charbon), le plus souvent pour faire tourner des machines qui sont nécessaires à la vie moderne, du tracteur qui permet de cultiver les céréales du petit déjeuner, à l’usine qui permet de fabriquer nos vêtements (et nos bidules électroniques), en passant par les camions qui vont livrer tout cela là où nous faisons nos emplettes.
Bref, plus nous consommons, plus nos produisons de CO2, et plus nous réchauffons la planète.
Depuis la moyenne des années 1850 à 1900 qui sert de référence, la planète s’est réchauffée de 1,1°C. On estime que passé 1,5°C de réchauffement, la vie va devenir très compliquée, et les événements climatiques extrêmes de ces derniers mois (famine à Madagascar, dôme de chaleur au Canada, inondations en Belgique et en Allemagne) montrent que les problèmes se rapprochent. En effet, les événements climatiques extrêmes vont se faire plus puissants et plus fréquents, avec des conséquences sur les humains : pertes de récoltes agricoles, migrations massives, santé humaine dégradée, conflits armés.

Pour éviter ce funeste destin, on doit en France, compte tenu de notre production de gaz à effet de serre, diviser par 5 nos émissions de ces gaz d’ici 2050. C’est un sacré défi, sachant que depuis que le microprocesseur existe, notre industrie a pris la (mauvaise) habitude de vivre une période de croissance très forte.

Le numérique fait partie de la solution au changement climatique

Le numérique fait indéniablement partie de la solution. Par exemple, le télétravail permet de réduire les kilomètres parcourus en voiture ; des simulations numériques permettent aux chercheurs d’inventer l’énergie propre de demain qu’est la fusion nucléaire (malheureusement elle n’arrivera qu’après qu’on ait du prendre le virage climatique) ou de faire des simulations sur le climat pour les chercheurs du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Par contre, il ne faut pas tomber dans le solutionnisme technologique en imaginant que le numérique va tout résoudre et partir du principe que rajouter du numérique va faire qu’on aura plus de chances d’éviter la crise climatique.

Pas de joker pour le numérique

Je sais pour l’avoir ressenti qu’il est rassurant de se dire qu’on est « du côté des gentils » et que face à la catastrophe climatique, on n’a pas à changer nos habitudes. Pourtant ça n’est pas vrai : le numérique ne peut pas continuer sa folle croissance alors que pendant ce temps-là on exige de toutes les industries et tous les consommateurs de réduire drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre. Le numérique fait à la fois partie du problème et de la solution. En tant qu’industrie, il nous appartient de développer le côté solution, ce qu’on fait déjà depuis toujours, mais aussi de réduire l’impact négatif que nous avons.

Mais alors, par où commencer ? Par là où nos efforts paieront le plus, en utilisant les leviers qui ont le plus d’impact.

Quelle partie du numérique cause le plus d’émissions de gaz à effet de serre ?

Le collectif GreenIT a fait un travail très utile pour nous et l’a publié dans un rapport intitulé très justement « iNUM : impacts environnementaux du numérique en France » en début d’année 2021.
Cette étude répartit le numérique en trois « tiers », trois niveaux :

  1. Les terminaux des utilisateurs (smartphone, laptops, desktops, écrans supplémentaires, TV) ;
  2. le réseau ;
  3. et les datacenters (serveurs, stockage, etc.).

Reprenant l’approche ACV (Analyse du Cycle de Vie), on sépare deux phases principales : la fabrication (notée « FAB ») et l’utilisation (notée « USE »). Notons que le recyclage a été laissé de côté dans cette étude pour des raisons de simplicité.

Comme il se doit, l’étude prend en compte plusieurs critères : consommation d’eau, émissions de gaz à effet de serre et utilisation de ressources abiotiques (minerais, le pétrole nécessaire à produire le plastique etc.) et ajoute la consommation d’énergie primaire pour faire bonne mesure. Dans l’intérêt de ne pas faire un article trop long, je vais me concentrer sur les gaz à effet de serre.

Voici comment se répartissent les émissions de gaz à effet de serre du numérique en France :
Terminaux FAB 76 % ; Terminaux USE 8 % ; Réseau FAB 5 % ; Réseau USE 5 % ; Datacenters FAB 2 % ; Datacenters USE 4 %
On constate du premier coup d’œil que le principal poste est la fabrication des terminaux, et de très loin, avec 76 %. Les autres postes, l’utilisation des terminaux (8 %), la fabrication de l’équipement réseau (5 %), l’utilisation du réseau (5 %) etc. paraissent négligeables. Ça ne veut pas dire qu’il ne faille pas s’en préoccuper, mais juste que pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’un facteur 5, il faut s’attaquer au gros du problème, à savoir la fabrication des terminaux, qui représente les trois quarts du problème en question.

La France, un cas à part

Il convient de rappeler que la France est un cas très particulier. En effet, l’essentiel de l’électricité en France est décarbonée, c’est à dire que sa production n’émet que très peu de gaz à effet de serre. En effet, en France l’électricité est d’origine nucléaire à 44 %, complétée par des énergies renouvelables (hydraulique, éolien et solaire) à hauteur de 40 %.
Par contre, là où sont extraits les minerais et fabriqués les équipements, l’énergie locale est très carbonée (pétrole et charbon pour l’essentiel), ce qui provoque ce déséquilibre de gaz à effet de serre entre fabrication à l’étranger et utilisation en France.

Comment faire pour éviter l’émission de gaz à effet de serre ?

Partant de cette information, toujours dans une optique de réduire l’empreinte carbone, il « suffit » d’éviter de renouveler les terminaux en les faisant durer. Plusieurs approches sont complémentaires :

  • L’équipement le plus respectueux de l’environnement étant celui qu’on n’a pas produit, on évitera d’acheter des équipements pas strictement utiles.
  • De même, on évitera de remplacer les équipements tant qu’ils fonctionnent.
  • On réparera ceux qui ne fonctionnent plus (changer une batterie fatiguée est mieux que changer tout un ordinateur ou un smartphone), quitte à les mettre à jour, par exemple en troquant un disque dur magnétique de son PC pour un SSD, qui donne des gains de performance impressionnants.
  • Enfin, on favorisera le réemploi (l’achat d’occasion) des matériels si nécessaire.

Lutter contre l’obsolescence programmée

On sait d’expérience que bien souvent, les équipements numériques sont remplacés alors qu’ils fonctionnent encore. Il y a plusieurs raisons à cela : ils peuvent être poussés à l’obsolescence parce qu’ils ne sont plus « à la mode ». C’est particulièrement le cas des smartphones et des montres connectées qui font des progrès rapides, on encore les TV connectées. On évitera donc de pousser nos clients à remplacer leurs équipements pour des raisons aussi futiles.

Il y a aussi une autre raison de remplacer un équipement qui est encore en très bon état d’un point de vue matériel : quand le logiciel l’exige. Trop souvent, une nouvelle version d’un logiciel, système d’exploitation ou application, devient incompatible avec un matériel qui marche pourtant très bien. Cela peut prendre plusieurs formes : la nouvelle version exige du matériel des fonctionnalités qu’il n’a pas, ou bien ne fonctionne qu’avec une API récente non disponible sur cette machine, ou encore parce que le logiciel est devenu trop lourd pour ce matériel.
Pour l’utilisateur, cette situation est source de frustration. Pour la planète, c’est une source de pollution (le matériel électronique est très mal recyclé). En prime, compte tenu des émissions de gaz à effet de serre, c’est aussi terrible pour le climat.

Il existe pourtant des solutions que nous, en tant qu’industrie, devrions mettre en place. Voici quelques pistes :

  • S’assurer que les nouvelles versions de nos logiciels sont compatibles avec d’anciennes API et d’anciens formats, d’anciens systèmes d’exploitation et tournent correctement sur d’anciens matériels.
  • Ne pas faire d’applications trop lourdes, ce qui passe par mesurer l’occupation mémoire, le temps processeur et la bande passante utilisés (les développeurs Web peuvent par exemple utiliser l’extension GreenIT-Analysis à cet effet).
  • Être compatible avec GNU/Linux, qui est souvent utilisé pour remplacer Windows sur des machines vieillissantes. C’est d’autant plus nécessaire alors que Windows 11 promet d’être un désastre écologique car il exige des configurations très récentes pour fonctionner. Ainsi, il va pousser beaucoup de machines en parfait état vers un renouvellement forcé.

Les petits gestes du quotidien

De nombreuses personnes veulent un avenir plus prometteur pour leurs enfants et souhaitent donc se mettre en action à cet effet. Ils ou elles peuvent le faire, mais ces efforts à l’échelle individuelle ont un impact limité, et il faut aussi les renforcer par des actions collectives, par exemple politiques ou associatives. L’action au niveau de l’entreprise est elle aussi indispensable pour avoir une chance de réduire le réchauffement en dessous de 2°C comme il se doit. Il en va de notre responsabilité de professionnels.

Se former et partager pour aller plus loin

Le sujet du changement climatique est très complexe, et on le voit ici : là où on entend généralement que ce sont les mails et la vidéo qui réchauffent la planète, on voit que quand on mesure l’ensemble, c’est en fait la fabrication des terminaux. Pour s’y retrouver, il faut se former sur ces sujets. Par chance, il existe plein de ressources peu chères pour cela. Je me permets quelques suggestions :

Faire face à la crise climatique n’est pas forcement facile : il faut se former, changer ses habitudes à la maison, changer sa façon de travailler. Mais il n’existe pas d’alternative : il est en effet impossible de négocier avec les lois de la physique qui régissent notre climat. De ce fait, nous sommes obligés de faire face. Et l’expérience prouve qu’il est beaucoup plus plaisant de faire ce qu’il faut faire quand on le choisit que quand on le subit. Allez-vous choisir de réduire l’empreinte carbone du numérique ?