Le problème avec les bootcamps
Je fais partie de ces nombreuses femmes à qui on a dit au lycée qu’il valait mieux qu’elles abandonnent leur projet dans l’informatique et qu’on a poussées vers d’autres horizons. Après près de dix ans dans le social, j’ai retrouvé un chemin détourné vers le code en profitant d’un licenciement économique pour faire une reconversion.
Malade chronique sortant d’une industrie très mal payée, j’étais à l’époque dans une situation financière qui faisait que je ne pouvais pas me permettre de partir pour trois (encore moins cinq) ans d’études. La découverte des formations en accéléré, les fameux bootcamps, a été une révélation. En six mois (stage inclus) je pouvais passer un titre professionnel me donnant un niveau bac+2 et espérer entrer par la petite porte de l’industrie. Pour moi, c’était une chance inespérée.
À trente-deux ans et ayant fait une partie de ma première carrière dans l’accompagnement au retour à l’emploi, j’étais plutôt au fait des questions de reconversion et des différences entre ce que Pôle emploi promet avant une formation et la réalité du terrain. Je ne m’attendais pas à ce que toutes les portes s’ouvrent magiquement à ma sortie de reconversion, je ne m’attendais pas non plus à avoir un salaire pharamineux, et je n’ai pas eu beaucoup de surprise. J’ai eu la chance d’avoir tout de suite un CDI dans l’entreprise qui m’avait prise en stage et bien que trois ans après la fin de ma reconversion je ne sois pas du tout là où je pensais que j’en serais, malgré tout, je suis toujours là. C’est loin d’être le cas le plus courant pour les femmes qui font ces reconversions (ou qui entrent dans la tech tout court) et je me considère donc chanceuse malgré tout.
Une des choses auxquelles je ne m’attendais pas, c’était la réputation que les bootcamps avaient, particulièrement en France (Europe ?). Au début de ma reconversion je suivais beaucoup la communauté tech américaine et je voyais des backgrounds vraiment différents. Plusieurs “rockstars” de l’industrie venaient de reconversions, n’avaient jamais mis un pied en école, voire étaient carrément autodidactes. Je voyais des sorti·es de reconversion trouver des postes où on leur faisait confiance et où iels étaient considéré·es comme de vrai·es professionnel·les (et payé·es correctement). Je ne me souviens pas d’avoir vu une seule fois le débat « ohlala les sorti·es de bootcamps c’est vraiment des nazes ! » dans la communauté dev américaine.
Quand j’ai rejoint la communauté francophone, la plus grande différence que j’ai vue c’est ce thème qui revient de façon cyclique. Sur LinkedIn, sur Twitter, dans les slacks communautaires… Tout le monde y va de son petit post pour expliquer pourquoi les bootcamps c’est vraiment nul, et pourquoi on ne peut pas être un ou une professionnel·le compétent·e si on passe par ces formations. Et tout le monde passe son temps à faire des petites remarques, des vannes, des moqueries, sur ces formations. Au début, ça me rendait très triste de lire ces commentaires. Ça m’a beaucoup fait douter de mes compétences et m’a même posé de gros problèmes quand il a fallu que je trouve un nouvel emploi. Plus j’avance dans mon cheminement de reconversion, plus la colère remplace la tristesse quand je vois ces messages apparaître avec une régularité surprenante.
J’ai vu les grimaces quand j’évoque le fait que je viens d’un bootcamp. J’ai vu les grimaces quand je dis qu’une partie de mon activité est de donner des formations dans ces bootcamps. Et autant je pense qu’il y a plein de critiques qu’on peut faire aux bootcamps, autant je pense qu’on peut vraiment améliorer ces formations, et qu’il y a même des fonctionnement très toxiques dans beaucoup de ces centres, autant je pense aussi qu’il y a une vraie richesse à en tirer et je suis loin de partager la vision négative que la plupart des acteurs et des actrices de la tech semblent avoir sur les devs qui sortent de ces formations.
Alors, ancienne alumna (mon latin remonte mais j’invente un féminin sans aucun complexe 😌) de bootcamp, ancienne tutrice de stage d’apprenant·es en bootcamp, aujourd’hui formatrice en bootcamp, j’ai une vision trois-cent-soixante degrés de ces formations et je pense pouvoir débunker (démythifier) certains a priori et prendre assez de recul pour pointer du doigt les problématiques liées à ces formations. Si vous allez jusqu’au bout de cet article, vous devriez découvrir que le vrai problème avec les bootcamps ne se trouve pas du tout là où les quarante-mille posts LinkedIn par mois semblent vouloir le trouver (promis, je n’inventerai plus d’autre mot en latin tout le reste de l’article si vous continuez la lecture !).
Les problèmes vus de l’extérieur
Dans cette partie, je vais revenir sur les critiques que je vois apparaître le plus souvent, celles en particulier que je trouve parfois injustes ou carrément fausses.
« on n’apprend pas à être dev en 6 mois »
Une des critiques qu’on voit le plus souvent c’est celle-ci. Et à première vue, elle paraît plutôt objective. De fait, l’idée qu’un métier technique comme celui du développement web puisse s’apprendre aussi vite, particulièrement en 2022 avec toutes les technologies qui existent et tous les paramètres à prendre en compte, sans compter la polyvalence qu’on attend de plus en plus des professionnel·les, peut paraître absurde. De fait, les formations en accéléré ne laissent pas le temps à l’expérimentation et laissent peu le temps aux projets (certains bootcamps gèrent cette question mieux que d’autres, mais si on est sur une version en 6 mois stage inclus, le temps reste très limité même avec les meilleures volontés).
Personnellement, quand je suis sortie de ma formation pour aller en stage, j’avais eu une seule expérience de site créé from scratch (de zéro), parce que j’avais la chance d’avoir eu une dizaine de jours de projet à la fin de ma formation (ce qui n’est pas le cas dans tous les bootcamps). Ce premier projet avait été hyper formateur, mais j’étais consciente de manquer de pratique. En stage, j’ai eu la chance de mener deux projets complètement de zéro, un petit projet (le site de l’agence qui était encore en construction) et un plus gros, qui a été mon sujet de soutenance au titre (les bases d’un CMS interne). Mais beaucoup de mes camarades n’ont pas du tout eu cette expérience en stage.
Donc en plus d’une théorie réduite aux bases (en quatre mois, on ne peut pas aller beaucoup plus loin même en intensif), il y a un manque d’expérience et d’expérimentation. Mais est-ce que ça veut dire pour autant qu’on n’est pas dev en sortant de ces formations ?
Qu’est-ce qu’une dev ou un dev ? Quelqu’un qui crée des sites web en utilisant des langages informatiques (en tout cas c’est ma définition). Est-ce que quelqu’un qui sort de bootcamp est capable de faire ça ? Bien sûr ! Est-ce qu’une personne qui sort de bootcamp est capable de le faire parfaitement ? Bien sûr que non ! Mais outre le fait que je ne pense pas que les sorti·es d’écoles sachent le faire parfaitement non plus (je suis intervenue dans quelques-unes de ces écoles en tant que formatrice, et honnêtement les niveaux ne sont pas aussi élevés que beaucoup semblent vouloir penser), il ne faudrait pas oublier que quand on sort de bootcamp on est censé·e avoir un équivalent bac +2. Pas une licence, pas un master. On est à un niveau vraiment d’entrée tout en bas de l’échelle de l’industrie. On est des devs ultra débutant·es.
Est-ce qu’on demande aux débutant·es de tout savoir ? Quand j’ai débuté dans le social, après pourtant trois ans de formation, avec des stages longs où j’étais traitée comme une éducatrice spécialisée en poste, personne ne s’attendait à ce que je sois une professionnelle parfaite. On m’a encadrée, on a continué à me coacher et à me guider pour que je prenne en expérience et que j’améliore ma posture. Je ne comprends pas pourquoi ce serait différent dans la tech, particulièrement pour les gens qui viennent de bootcamp ?
« les personnes issues de bootcamps ne sont pas autonomes »
Bon, déjà, on revient au même argument que précédemment. Forcément, quand on débute on n’est pas autonome. Je vous met au défi de trouver une personne qui sorte d’école qui soit autonome sur son premier poste. Personnellement, je me suis retrouvée dans une entreprise où il n’y avait personne qui sache coder à part ma collègue (issue du même bootcamp que moi) et moi. L’autonomie on a bien été obligées de la développer. Et heureusement, on avait toutes les deux un sacré bagage derrière nous (vive les reconversions !) parce que je sais que beaucoup de personnes dont ça aurait été la première expérience professionnelle auraient complètement été submergées.
Bon, mon expérience est loin d’être la meilleure qu’on puisse imaginer (et j’espère une expérience plutôt en marge), mais même si on revient à un contexte classique de prise de poste en junior, à quel moment on demande une parfaite autonomie ? Jamais (j’ose espérer).
Ce qui m’embête avec cette critique, outre le fait que je la trouve injuste puisqu’on ne devrait jamais demander à des gens qui débutent d’être autonomes, c’est qu’elle est souvent donnée de façon absolue. Comme si les personnes issues de bootcamps ne pouvaient pas du tout être autonomes, même après un temps d’encadrement, même après plusieurs expériences. Comme si par leur nature profonde, les reconverti·es passé·es par les bootcamps ne pourraient jamais développer d’autonomie.
Pour moi c’est assez représentatif d’un certain élitisme dans la tech française. Si on n’a pas fait d’école, et même j’irais plus loin, si on n’a pas fait les bonnes écoles, on est destiné·es à ne jamais devenir des pros à part entière. Il y a celleux qui ont fait le bon cursus, et celleux qui gravitent autour et qui, à part quelques exceptions qui permettent de confirmer la règle, ne seront jamais au niveau. C’est assez hypocrite parce qu’en même temps, ces mêmes personnes nous disent qu’il faut absolument avoir plein de side projects parce qu’on n’apprend qu’en expérimentant. Donc à la fois iels nous disent qu’il n’y a qu’un parcours acceptable pour produire du code de qualité, mais après nous disent que l’expérimentation est la seule façon d’apprendre. Donc pourquoi le gap (écart) supposé de qualité de code entre élève de bootcamp et élève d’école ne se lisserait pas grâce à l’expérimentation ?
Pour moi, l’autonomie est quelque chose qui s’acquiert avec l’expérience. Ça n’a pas grand chose à voir avec quel type de formation on a suivi.
« les programmes sont mal faits »
Bon. Cette critique, elle ne sera pas débunkée à cent pour cent, autant l’admettre dès le départ. Dans les critiques injustes que j’entends revenir le plus souvent, c’est sûrement celle qui est la plus vraie. Beaucoup de bootcamps ont des programmes qui n’ont pas beaucoup de sens. Perso j’ai pas du tout compris pourquoi on me faisait voir en une semaine Angular, React et Vue alors que je n’avais eu qu’une semaine sur JavaScript (et que j’étais complètement perdue). Je continue à penser que ça n’avait aucun sens. D’ailleurs je n’ai aucun souvenir de ces trois frameworks, je sais juste qu’on me les a montrés en formation, aucun intérêt.
En tant qu’apprenante, j’avais plein de choses à dire sur le programme de ma formation, en tant que formatrice, j’aurais aussi beaucoup à dire sur les programmes d’une grande partie des centres sur lesquels j’interviens. Mais en même temps, je suis sortie de ma formation capable de travailler en entreprise. Donc c’est bien que ça ne doit pas être si catastrophique que ça.
Quoi qu’il en soit, j’admets qu’il y a de grosses améliorations à faire sur les programmes. Mais là où je trouve la critique injuste c’est que, quand on gratte un peu, on peut se rendre compte que la même critique est faite à pas mal d’écoles. J’ai vu régulièrement des devs partager leur frustration par rapport à des choses qu’iels n’avaient pas vu en formation dans leurs écoles et qui se sont avérées vitales pour le boulot de dev par la suite. J’ai aussi vu souvent des devs partager des anecdotes sur leurs écoles et critiquer les programmes. Donc il semblerait que la critique n’est pas faisable que pour les bootcamps, et donc l’utiliser comme une sorte d’argument d’autorité contre les gens qui sortent de ces formations, je trouve ça assez hypocrite.
J’ai probablement un biais du fait que je viens d’une profession où on a plutôt tendance à juger sur la compétence que sur le parcours, mais vraiment pour moi la question centrale c’est : est-ce qu’une personne qui a fait un bootcamp est au niveau pour travailler en entreprise (à un poste adapté pour les grand·es débutant·es) ? Et en trois ans et demi, j’ai vu assez de personnes entrer dans l’industrie en passant par le bootcamp et réussir pour répondre à cette question par la positive. Et non, c’est pas juste que les personnes qui réussissent étaient des génies ou avaient déjà beaucoup plus d’expérience avant. J’ai vu des gens qui en formation étaient loin d’être à la tête qui sont maintenant lancés dans des carrières dans la tech. Juste parce que ce que le bootcamp leur avait appris était suffisant pour intégrer une équipe, à condition que l’équipe soit claire avec quel niveau attendre d’une personne après une formation en accéléré.
Les problèmes vus de l’intérieur
Bon, j’ai peut-être pas débunké les critiques précédentes, mais je pense leur avoir apporté de la nuance, et je m’en contenterai. À présent, voici pour moi, avec mon point de vue interne, les critiques qu’on peut faire aux bootcamps.
Des promesses hors-sol.
Mon problème principal avec les bootcamps c’est les promesses qu’ils font aux apprenantes et aux apprenants. Déjà quand j’étais moi-même en formation, on nous faisait miroiter des salaires à trois mille euros par mois, des méga avantages, et du boulot en claquant les doigts. Le centre de formation et les formateurs étaient tous sur la même longueur d’onde : on allait être riches wouhou !
Je me souviendrais toujours de ce formateur qui a passé les deux jours où on l’a eu à essayer de nous convaincre de devenir freelances à la sortie de la formation parce que « c’est là qu’on se fait le plus de thunes !!! ». Et je me souviens lui avoir répondu qu’être à mon compte était mon objectif à terme, que c’était une des raisons pour lesquelles j’avais choisi cette reconversion, mais que je préférais quand même d’abord avoir un peu d’expérience, monter un peu en compétences et prendre de l’assurance. Mais non, il était convaincu, être salarié·e était une perte de temps !
Il nous parlait de ses clients, de l’argent qu’ils se faisaient, il nous racontait des gros contrats qu’il avait vu passer… C’était lui aussi qui nous conseillait d’apprendre un minimum WordPress pour pouvoir facturer cinq mille euros pour un site qui nous aura pris deux jours ! SUPER RENTABLE ! Après tout, le client n’y connaît rien !
Bref, la malhonnêteté de ce genre d’injonctions (sachant que lui faisait de la formation facturée moins de deux cents euros la journée, donc vraiment je doute qu’il y croyait lui-même à tout ça) c’est pour moi la critique principale. Et ça n’était pas une rareté statistique sur mon centre de formation. Je le vois encore très souvent dans les formations où j’interviens. Souvent, ce sont même les apprenantes et les apprenants qui me font remonter ce genre de discours. Souvent iels me remercient d’être honnête quand je leur parle de l’industrie, parce qu’iels se rendent bien compte qu’on essaie de leur faire avaler des couleuvres.
Même sans aller dans des discours complètement perchés (qui sont facilement repérables comme faux), rien que le fait que les bootcamps continuent à dire aux personnes qui s’inscrivent à leurs formations qu’elles trouveront facilement du travail ensuite est inacceptable. Il y a du boulot pour des devs junior·es. Mais globalement on est loin d’être en tension sur les postes grand·es débutant·es, en général les premiers postes des sorti·es de bootcamp sont plus dev-adjacents qu’autre chose, et il faut admettre qu’on est plein à avoir à prendre des chemins détournés. Et c’est pas parce qu’on arrive à décrocher la première expérience assez vite que la suite sera simple non plus. Un an et demi après ma formation, quand j’ai voulu quitter l’agence web dans laquelle j’étais, le fait que j’ai fait un bootcamp était toujours un souci, alors que je venais de passer un an et demi à être la seule dev d’une boite et à faire absolument tout sur les sites qu’on faisait pour les clients. Je ne dis pas que j’avais un niveau technique complètement hallucinant, mais j’avais plus d’expérience que les gens qui sortaient tout droit d’écoles, je postulais pour les postes junior, et on doutait encore de ma capacité à faire le job.
Moi quand mes groupes me demandent de leur parler de mon parcours et de l’industrie, je suis toujours très honnête. Je leur parle et de mon collègue de bootcamp qui a été pris juste après son stage de fin de formation à trois mille euros par mois sur un poste très technique et qui a l’air de toujours se trouver très bien dans sa boîte, mais aussi de toustes mes collègues de formation qui n’ont rien trouvé et ont soit enchaîné sur d’autres formations, soit fini par abandonner et quitté la tech. Je leur dis que j’ai eu la chance d’avoir un CDI juste après mon stage, mais je leur dis aussi que ce CDI s’est mal terminé et que rebondir a été compliqué. Malheureusement souvent ils me remercient en me disant que je suis la première à leur dire la vérité.
Le manque de pédagogie.
Oui, je ne suis pas une bonne corporatiste, désolée. Mais un des gros problèmes avec les bootcamps, c’est la pédagogie. Il y a une sorte de roulette russe qui s’opère et que j’ai pu observer tant en tant qu’apprenante qu’en tant que formatrice. À chaque début de nouvelle session arrive une nouvelle formatrice ou un nouveau formateur (quoiqu’on fasse parfois plusieurs sessions avec un groupe mais bon). Et à chaque fois, le même stress : est-ce que la personne va être pédagogue ou pas ?
Parce que vous voyez, la pédagogie, c’est pas quelque chose qui s’improvise… Et malheureusement c’est quelque chose que BEAUCOUP de gens ont l’air d’ignorer. Être compétent·e dans un domaine ne veut pas dire qu’on sera capable de l’enseigner. Enseigner c’est un métier en soi. Personnellement, j’ai été formée à la pédagogie dans ma première carrière. Je sais créer un cours, équilibrer entre théorie et pratique, je sais faire en sorte de revenir bien aux bases et les expliquer simplement, j’ai appris à reformuler si besoin, à répondre aux questions, à faire en sorte qu’il y ait des questions, à avoir des supports différents pour que ce soit adapté à tous les profils d’apprenant·es… J’ai eu des heures de formation, j’ai des années d’expérience, et je continue à me former continuellement. Globalement, si on me mettait un pistolet sur la tempe et qu’on me demandait dans quel domaine je suis une experte, je ne parlerais pas du dev mais bien de la pédagogie.
Et malgré cette expertise, je passe beaucoup de temps à travailler et retravailler mes cours. Quand j’ai une session, j’adapte le cours de jour en jour selon le rythme du groupe, selon son énergie et sa façon de comprendre les choses. Faire de la formation me demande beaucoup de travail.
Et clairement, y a des tas de gens qui vont vers la formation sans avoir conscience de tout ça. On a toustes eu ce prof très compétent au niveau technique mais incapable d’expliquer clairement les concepts. En bootcamp, ce genre de formateur ou formatrice est très courant. Il m’arrive très souvent d’arriver sur une session et de trouver mon groupe dans un état de stress intense parce que la session précédente a été faite par quelqu’un qui n’avait pas préparé son cours, qui ne savait pas expliquer, ou qui leur parlait de concepts hyper compliqués sans même avoir pris la peine d’expliquer les bases. Moi-même durant ma formation j’ai eu ces différents cas de figure, et encore, j’ai eu beaucoup de chance, en dehors de JavaScript, les formateurs des langages et frameworks principaux étaient vraiment bons.
Mais en trois ans l’offre de formation a plus que décuplé. Le gouvernement investit toujours plus dans ces formations, c’est un business en pleine expansion (un problème en soi) et il n’y a plus assez de formatrices et de formateurs. Un de mes groupes avait eu un formateur juste avant moi qui avait fini la semaine précédente son bootcamp. Un de mes groupes avait un formateur qui en HTML et CSS leur avait fait en cinq jours ce que je fais en général en deux heures (je ne comprends toujours pas comment c’était possible). Un de mes groupes avait un formateur qui ne répondait à aucune question, qui les interdisait, considérant que c’était aux apprenant·es de se débrouiller pour trouver les réponses Google est votre meilleur ami !
. Un autre ne leur a fait absolument aucune théorie, leur a balancé une maquette et leur a dit à vous de vous débrouiller pour trouver comment faire, y a tout ce qui faut sur internet
.
J’ai des tas d’autres exemples, je pourrais écrire un article complet sur les anecdotes complètement hallucinantes de formateurs qui ne faisaient pas leur boulot. Le truc c’est que comme il n’y a plus assez de formatrices et formateurs, à peu près n’importe qui peut le devenir. Il suffit d’avoir quelques compétences dans un domaine et il est relativement facile de trouver un bootcamp qui a des besoins urgents et qui ne sera pas trop regardant. La plupart des bootcamps ne donnent pas de support, c’est à nous de complètement créer le cours, et on a parfois vaguement des indications sur le programme attendu mais même ça ça n’est pas toujours le cas. Donc même avec de la bonne volonté, si on n’est pas une pédagogue ou un pédagogue aguerri·e, c’est vite compliqué de faire son travail correctement.
Et c’est pas pour chercher des excuses à ces collègues (certain·es abusent vraiment), mais vu les conditions de travail, il est très dur de faire de la qualité. Déjà, le taux journalier est une grosse blague. Rien à voir avec les TJM (Taux Journalier Moyen) des devs. Ensuite, comme je vous l’ai dit, on est totalement dans le noir sur le contenu qui est attendu. On n’a absolument aucune aide. Certains bootcamps font des groupes de vingt-cinq, trente élèves, parfois plus. Et personne ne prévient du temps que prend le fait de créer et alimenter un cours. Mon expérience faisait que je savais dans quoi je me lançais et je n’ai pas eu de mal à évaluer la quantité de contenu à préparer selon le thème et le nombre de jours. Mais quelqu’un qui n’a jamais fait de formation, je comprends tout à fait que ce soit vite la catastrophe. Encore une fois, la pédagogie c’est un vrai domaine d’expertise. Je n’ai rien contre le fait de recruter des débutantes et des débutants, bien au contraire, mais le fait qu’il n’y ait absolument aucun encadrement (même les infos de base il faut se battre pour les avoir) envoie forcément à l’échec. C’est exactement la même chose qu’avec les devs sorti·es de bootcamps, si on n’encadre pas les formateurs et les formatrices débutant·es, iels ne peuvent pas faire un travail correct.
Un mauvais recrutement.
Je fais partie de ces gens qui considèrent qu’à peu près n’importe qui peut devenir dev. Encore une fois, mon expertise c’est la pédagogie, et je reste persuadée qu’il n’y a pas de domaine qu’un type de personne ne puisse pas apprendre. Bien sûr, si je veux devenir chercheuse en physique quantique ou maître d’art en ébénisterie, deux domaines où je ne connais absolument rien et pour lesquels je n’ai aucune compétence transférable, je pars pour des années de boulot. Mais si c’est vraiment ce qui m’intéresse et que j’ai le bon contexte de vie pour (c’est-à-dire, les moyens de prendre le temps qu’il me faut pour apprendre), alors il n’y a aucune raison pour que je ne puisse pas atteindre ces objectifs.
Donc quand je parle de mauvais recrutement, je veux être très claire dès le départ : je pense que n’importe qui peut apprendre à devenir dev. Pour moi, pour pouvoir apprendre à être dev, tout ce qu’il faut c’est avoir l’intérêt (attention, je n’ai pas parlé de passion mais d’intérêt) et le contexte adapté. Avec les formations en accéléré, avoir le contexte c’est aussi : avoir la possibilité pendant plusieurs mois de se consacrer à la formation par exemple. Ce qui déjà crée un gros déséquilibre entre les personnes qui font ces formations sans avoir d’obligations hors-formation (comme moi à l’époque) et celles qui ont des obligations qu’elles ne peuvent pas mettre de côté même pour quelques mois (les mères par exemple, et oui je dis bien « mères » et pas « parents » parce que je vois une grosse différence entre les femmes qui ont des enfants et les hommes qui ont des enfants dans mes groupes d’apprenant·es. On revient à la question de la répartition des tâches dans le couple mais aussi au fait que pour un père il est acceptable de dire pendant quelques semaines je ne vais pas pouvoir me consacrer à ma famille mais vais devoir privilégier ma vie professionnelle
alors que ça ne l’est pas pour les mères…).
J’ai dit tout à l’heure que les formations de reconversion vers la tech sont très bien financées. Le gouvernement considère que c’est une des rares industries où il y a du boulot, donc beaucoup de budget est envoyé dans ces formations. C’est assez cool parce que du coup c’est très facile quand on est en reconversion de faire payer la formation par Pôle emploi ou la région, c’est une vraie chance de ne pas avoir à payer de sa poche… Et ce qui est chouette aussi, c’est que Pôle emploi est très au fait de ces formations et encourage tout projet qui va dans cette direction. Personnellement, je n’ai pas du tout eu à argumenter pour que mon projet soit pris en charge, alors que je m’attendais à devoir le faire…
Sauf que, comme souvent, ce qui est un avantage peut aussi devenir un inconvénient. On finance des tas de formations qu’il faut ensuite remplir. Donc on met la pression sur les demandeuses et demandeurs d’emploi pour qu’ils aillent vers ces bootcamps. Et comme les bootcamps ont du mal à remplir leurs formations, il y a très peu de tri fait sur les profils. Il y a trois ans, quand j’ai voulu faire ma formation, j’ai passé un test de logique et un entretien personnalisé pour argumenter mon projet et mon profil. À l’époque, c’était le process de la plupart des centres de formation, beaucoup ajoutaient même un petit test d’anglais. Aujourd’hui, la plupart des centres avec lesquels je travaille ne font plus de tri à l’admission. Ils ont des formations à remplir et ne cherchent pas plus loin.
Entre le fait que Pôle emploi pousse fort pour que les gens aillent dans ces formations et le fait que les bootcamps ne fassent plus de sélection, on arrive à des situations où régulièrement, dans mes groupes, j’ai des apprenant·es qui me disent en début de session je ne veux pas travailler dans ce domaine, on m’a forcé·e à faire cette formation, donc ne t’inquiète pas de moi, je suis là mais je ne fais pas vraiment partie du groupe
. La première fois, j’ai été complètement désarmée, mais depuis, c’est arrivé tellement souvent que je suis habituée. (je me souviens encore de ce monsieur qui avait été chauffeur de taxi toute sa vie, approchait la soixantaine et m’avait dit qu’il était là parce que forcé et m’avait ajouté qu’il n’avait jamais vraiment utilisé un ordinateur avant la formation…). En dehors de ces cas extrêmes, il y a aussi des cas qui m’ont beaucoup surprise quand j’ai commencé à les voir arriver et qui sont parfois maintenant un bon tiers de mon effectif durant les sessions : les gens qui font la formation de dev parce qu’ils ont besoin de se faire un site.
Je crée des vêtements et j’ai besoin d’une boutique en ligne donc je fais cette formation.
La première fois j’ai eu du mal à cacher ma surprise. Faire une formation WordPress pour apprendre à créer son site, ça me semblerait pertinent… Mais faire six mois de formation de dev pour créer son site pro ? What the fuck ? Et c’est toujours un peu le même principe, des gens qui sont en création d’activité, accompagnés par Pôle emploi qui ont besoin d’avoir un site web et Pôle emploi les envoie vers une formation de dev ?? Vraiment je n’en reviens toujours pas. Et je vous assure, ces derniers temps sur une bonne partie de mes formations, c’est un tiers de l’effectif.
Du coup, on a des gens qui sont dans la formation sans avoir l’intérêt (iels ne veulent pas devenir devs) et forcément ça ne peut pas marcher. Quel que soit le sujet, si on essaie de l’apprendre sans avoir au moins besoin de le faire, on ne tiendra pas.
(Je tiens à préciser que certains centres sont plus sérieux sur le recrutement. Ils font moins de recrutement forcé et je vois la différence quand j’interviens sur un groupe où les personnes qui sont là ont vraiment des projets en adéquation avec cette formation.)
Le vrai problème avec les bootcamps
Si vous êtes toujours avec moi à ce stade de ce (très ? trop ?) long article, vous devriez commencer à sentir venir ce que je m’apprête à vous dire. Alors, c’est quoi le vrai problème avec les bootcamps ? On a vu que ce n’était ni la durée de la formation, ni les programmes, ni le manque d’autonomie. On a vu qu’il y avait de vraies améliorations à faire en termes de pédagogie, de recrutement, d’information. Mais le vrai problème, celui promis dans mon titre, c’est quoi ?
Pour moi, le problème avec les bootcamps, c’est nous. C’est l’industrie qui ne veut pas accueillir correctement les reconverti·es qui passent par ces formations. C’est tout ce gatekeeping, cette vision étriquée et élitiste de c’est une vraie dev ou un vrai dev. C’est les a priori sur les profils atypiques. Le problème avec les bootcamps c’est ni les bootcamps, ni les personnes qui y font leur apprentissage, c’est la tech qui ensuite ne sait pas quoi faire de ces profils, voire ne veut rien en faire.
Et qui ça impacte le plus ? Les personnes reconverties bien sûr, mais pas seulement. Ça nous impacte nous, ça impacte l’industrie. Parce que je l’ai déjà dit dans ma conférence à Paris Web en octobre dernier (Du social à la tech – plaidoyer en faveur des profils atypiques), et je le répète ici : ces profils atypiques sont vitaux à notre industrie. Si on veut que notre industrie prospère, si on veut que notre industrie ne se noie pas dans un entre-soi délétère, il faut faire la place pour ces profils atypiques et leur richesse. Il y a des richesses et des bagages que seule une première carrière dans un domaine tout à fait différent ou une expérience de vie totalement en marge de la norme de l’industrie peuvent apporter. Ces richesses, on ne les trouvera pas dans les écoles, qui ont des profils ultra normalisés. Il faut aller les chercher dans les bootcamps, chez les autodidactes…
N’importe quelle débutante ou débutant devra être encadré·e à son début de carrière. Il faut arrêter de voir ça comme un frein insurmontable. La réalité, c’est que le fait d’avoir eu une première carrière, pourtant très éloignée de la tech, m’a aidée à retrouver de l’autonomie beaucoup plus vite dans ma seconde. Quand on fait une reconversion, on ne fait pas table rase de tout ce qu’on a vécu dans notre première vie professionnelle, on construit par-dessus. Et bien sûr qu’on part potentiellement de zéro au niveau technique, mais pour tout le reste, on amène avec nous tout ce qu’on a bâti pendant des années. Bien guidé·e, on peut monter en compétences très vite sur le technique. Par contre, tout le bagage et l’expérience d’une première carrière, ça ne s’improvise pas.
J’ai rencontré des centaines d’apprenant·es depuis que j’ai commencé mon parcours dans les bootcamps. Et à chaque fois qu’une entreprise laissait vraiment sa chance à une de ces personnes, ça a été hyper positif des deux côtés. J’ai vu des apprenant·es qui étaient médiocres pendant la formation, qui désespéraient parce qu’iels ne comprenaient pas assez vite, s’épanouir en entreprise et devenir des professionnel·les hyper compétent·es très rapidement. En faisant confiance à un de ces profils, les entreprises ont fait un vrai pari gagnant.
J’aimerais vraiment qu’on arrête de taper sur les bootcamps, et sur les gens qui ont appris les bases du métier dans des bootcamps. Parce que moi j’ai plutôt envie de taper sur notre industrie qui préfère tellement rester dans son élitisme et son gatekeeping qu’elle laisse des talents à la rue. Aucune formation n’est parfaite, aucun parcours ne crée la parfaite dev ou le parfait dev. Si on avait le courage de l’admettre et de laisser leur chance à ces personnes qui entrent par la petite porte, je pense que notre industrie n’en serait que plus forte, plus riche et plus innovante.
5 commentaires sur cet article
Franck, le 15 décembre 2022 à 11:02
Passionnant à lire, merci !
0liv'), le 15 décembre 2022 à 12:43
Super intéressant oui et bien balancé ! Je suis autodidacte et passé par la formation professionnelle (beaucoup) mais une génération avant... J'ai commencé à bosser comme développeur en 89 (!) et le problème était déjà le même J'ai eu la chance d'être embauché dans une première boîte qui m'a donné ma chance et qui m'a permis de plonger à fond dans ma passion Et ça a été génial parce qu'il n'y a pas eu de jugement de ce genre, ou alors je ne m'en suis pas rendu compte Après j'ai continué comme ça tout le temps, plutôt dans des petites boîtes, dans une start-up (mais en 96)... dans des boîtes qui innovaient et qui ne se posaient pas trop ce genre de question Juste l'expérience, la motivation et le résultat Et ils avaient raison! Après j'ai aussi bossé dans des grandes boîtes voire des très grandes (BULL, CERN...) et voilà Et j'ai aussi vu des débutant.e.s et des stagiaires sortis de grandes écoles qui n'étaient pas forcement toujours au point pour démarrer dans le monde professionnel Je suis sûr qu'ils y sont arrivés aussi, mais la grande école n'est pas forcément un gage de performance quand on débute... C'est peut-être juste des rumeurs lancées par les écoles pour justifier leurs tarifs, et par celleux qui en sortent, par fierté ou pour tenter de justifier ce que ça leur a coûté... Et bref, dans tout mon parcours on ne m'a demandé qu'une seule fois de fournir mon BAC, que je n'ai pas
Boris Schapira, le 15 décembre 2022 à 14:05
Je ne peux qu'acquiescer ce long mais riche article, étant moi-même arrivé aux mêmes conclusions.
Webetcaetera, le 15 décembre 2022 à 20:51
Merci pour cet article et ce point de vue très intéressant.
Dounadiya Sambake, le 16 décembre 2022 à 0:19
Excellent article Magali, tu es une superbe formatrice très pédagogue et surtout très honnête. Je te retrouve complètement dans tout ce que tu dis dans cet article. Garde tes valeurs !
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