Deux choses que je crois fermement à propos du Web

Cette année, j’ai découvert l’excellente chaîne Youtube Game Maker’s Toolkit. J’y ai appris par exemple que les fantômes de Pac-Man ont chacun leur propre algorithme de déplacement. Et puis dans une vidéo sur le mode assist du jeu Celeste (sans doute l’un de mes jeux préférés de ces dernières années), cette introduction a trouvé un écho particulier chez moi.

Il y a deux choses que je crois fermement à propos des jeux vidéo.

1. Les concepteurs doivent pouvoir imposer une vision singulière au joueur, si c’est ce qu’ils souhaitent.

Ainsi, Dark Souls n’a besoin que d’un mode de difficulté. Dead Rising peut restreindre le jeu tout entier à un temps limité. Et les armes peuvent aléatoirement se coincer dans un jeu dont je ne devrais même plus parler.

Des décisions comme ça peuvent être controversées, mais si elles font partie intégrante de l’expérience que le développeur essaie de créer, alors le joueur ne devrait pas se sentir dans son droit de modifier ça à travers des options, des modes et des boutons.

Parce que cela nuirait aux intentions du développeur, et ça pourrait gâcher le jeu sur le long terme. Ces décisions ont été faites pour une raison, après tout.

2. Les joueurs doivent être capables de jouer aux jeux comme ils le souhaitent. Que ce soit parce que le joueur a un handicap. Ou parce qu’ils ne sont pas très bons à ce jeu. Ou parce qu’ils veulent se concentrer sur l’histoire. Ou peut-être parce qu’ils trouvent ce passage spécifique du jeu pas agréable, comme des scènes d’action ou des passages chronométrés, et que ça gâche leur expérience du reste du jeu.

Je pense qu’ils doivent être capable de passer les combats de boss, désactiver complètement certains mécanismes, et abaisser la difficulté au niveau souhaité.

Je m’en fiche. Ça n’affecte en rien mon propre plaisir. Faites ce que vous voulez.

Et… Oui. Ce ne sont pas exactement les deux opinions les plus compatibles.

La transposition au monde du Web est presque trop facile. Voici donc deux choses que je crois fermement à propos du Web.

1. Les concepteurs doivent pouvoir imposer une vision singulière au visiteur, si c’est ce qu’ils souhaitent.

Vous avez le droit de faire des pages de trois kilomètres de long avec du parallaxe dans tous les sens.

Vous avez le droit de mettre des animations et des sons si ça vous chante.

Vous avez le droit d’ouvrir des popins un peu partout.

Vous avez le droit de faire un site qui ne fonctionne que si JavaScript est activé.

Vous avez le droit de faire un site qui ne fonctionne que si JavaScript est désactivé.1

Vous avez le droit de faire un site qui ne fonctionne que sur un seul navigateur.

Vous avez le droit de faire un site qui ne fonctionne que sur une seule résolution d’écran.

Sur le Web, personne, absolument personne, n’a d’autorité pour vous dire ce que vous avez le droit de faire ou de ne pas faire. Vous n’avez pas à obtenir l’aval de Google, Apple ou Amazon pour publier votre propre site web. Et vous êtes donc totalement libre de faire ce que vous voulez, comme vous le voulez.

Bien sûr, « des décisions comme ça peuvent être controversées, mais si elles font partie intégrante de l’expérience que le concepteur essaie de créer, alors le visiteur ne devrait pas se sentir dans son droit de modifier ça à travers des options, des modes et des boutons. Ces décisions ont été faites pour une raison, après tout. »

2. Les visiteurs doivent être capables d’utiliser un site comme ils le souhaitent.

Vous avez le droit de visiter un site dans le navigateur de votre choix, sur le système d’exploitation de votre choix, et sur l’appareil de votre choix.

Vous avez le droit d’utiliser un lecteur d’écran, une plage braille, des commutateurs, des boutons. Vous avez le droit de n’utiliser que votre clavier. Ou que votre souris. Ou un trackpad. Ou une manette de jeu. Ou un casque VR.

Vous avez le droit d’augmenter ou de réduire la taille de police par défaut.

Vous avez le droit de changer la police par défaut.

Vous avez le droit de zoomer sur tout ou partie de l’interface, temporairement ou en permanence.

Vous avez le droit d’utiliser un bloqueur de publicités.

Vous avez le droit de désactiver JavaScript, CSS, ou de bloquer n’importe quelle requête HTTP.

Vous avez le droit d’utiliser le mode de lecture de votre navigateur ou d’une application tierce.

Peut-être que vous faites ça parce que vous avez un handicap. Peut-être que vous faites ça parce que vous n’êtes « pas doué·e en informatique »2. Ou au contraire peut-être que vous faites ça parce que vous êtes un·e utilisateur·ice aguerri·e du web.

« Je m’en fiche. Ça n’affecte en rien mon propre plaisir. Faites ce que vous voulez. »

Et donc… Oui. Aussi. Ce ne sont pas exactement les deux opinions les plus compatibles. Alors, on fait quoi ?

Cette année, j’ai passé la certification Opquast3. Et contrairement à ce que j’attendais, les bonnes pratiques érigées ne sont pas là pour être appliquées tel un dogme. Encore une fois, sur le Web, personne n’a d’autorité pour vous dire ce que vous avez le droit de faire ou de ne pas faire. Mais le cursus insiste bien sur le fait que si vous dérogez à une bonne pratique, vous le ferez désormais en toute connaissance de cause.

Et c’est peut-être ça qui compte, au final. Sur le Web, on fait ce qu’on veut. Google, Apple, Opquast, Lighthouse et les autres ne sont pas là pour nous taper sur les doigts dès qu’on fait quelque chose qu’il ne fallait pas. Mais c’est à nous, conceptrices et concepteurs, de mesurer l’impact de chacun de nos choix et d’utiliser le Web pour ce pour quoi il est bon.

Merci de votre lecture et très bonnes fêtes de fin d’année à toutes et à tous !

  1. Le mois dernier, le designer anglais Heydon Pickering a refait son site (heydonworks.com) en faisant en sorte qu’il ne fonctionne que si on désactive JavaScript dans son navigateur. La controverse est presque totale, et des développeurs qui au quotidien excluent d’autres personnes avec du code inaccessible se sont sentis exclus, peut-être pour la première fois. CQFD.
  2. Et là je vous renvoie vers l’article de Jennifer du premier du mois.
  3. Tout comme ma consoeur Agnès dont je vous recommande vivement l’article.

Un commentaire sur cet article

  1. Goufalite, le jeudi 31 décembre 2020 à 12:22

    Merci pour l’article, par contre je trouve dommage que « l’impact de la mesure de nos choix » soit dictée par la hiérarchie et c’est généralement financier ou temporel…

    Du coup cette connaissance de cause se retrouve donc dans les toutes les popups de consentement et négligence de l’accessibilité…