Comment ma cataracte a modifié mon approche de l’accessibilité

Étant sourde de naissance, mes besoins personnels d'accessibilité se résumaient aux sous-titres des vidéos et aux transcriptions des podcasts. J'ai été sensibilisée à l'accessibilité numérique quand j'ai rencontré Sylvie Duchateau, aveugle, qui me racontait ses défis face à Internet. Suite à cette discussion, je me suis formée à l'accessibilité numérique chez Access42 et j'en ai fait ma spécialité en tant que développeuse.

Il y a cinq ans, on m'a diagnostiqué une cataracte précoce sur mes deux yeux. Quand je l'ai découvert, j'ai été stupéfaite car je pensais que seules les personnes âgées pouvaient être concernées. J'avais vu mes grands-parents et mes parents se faire opérer de la cataracte. Et moi je suis jeune, dans ma trentaine.

J'ai eu envie d'écrire cet article pour raconter les conséquences de cette maladie sur mon utilisation du web et de comment ça a changé mon regard de professionnelle.

Qu’est-ce que la cataracte ?

Selon Ameli :

La cataracte est une opacification de tout le cristallin ou d'une partie de celui-ci, altérant la vision et responsable d’une diminution de la qualité de la vie. Elle peut apparaître dans un œil mais en général, elle affecte les deux yeux. On parle de cataracte lorsque la correction optique par des lunettes n'est plus suffisante pour corriger la gêne visuelle..

Lorsqu'elle évolue et qu'elle n'est pas traitée chirurgicalement, la cataracte entraîne une baisse progressive et irréversible de la vision.

Toujours selon Ameli, la cataracte touche plus de 20 % de la population après 65 ans et plus de 60 % des personnes après 85 ans. Je n'ai pas trouvé de chiffres concernant ma catégorie d'âge mais, ayant cette maladie, je ne peux que constater que la cataracte ne touche pas que les seniors.

On ne peut pas pour l'instant m'opérer pour des raisons médicales. Du coup, j'ai appris à vivre avec. Avec le temps, j'ai constaté quelques répercussions au fur et à mesure que la cataracte évoluait.

Il existe plusieurs formes de cataracte. Celle que j'ai diffère celle de mes grands-parents et parents, qui n'ont pas rencontré les mêmes problèmes que moi. Pour eux, c'était les couleurs qui devenaient fades et ils ne s'en rendaient pas compte. Pour ma part, les symptômes sont différents.

Les conséquences de ma cataracte

J'ai développé une photophobie, une grosse sensibilité à la lumière. Petit à petit, j'ai dû mettre le thème sombre sur toutes mes applications, car le thème clair me fait très mal aux yeux et me donne parfois des migraines si je l'utilise trop longtemps.
Pendant un temps, je ne pouvais pas rester trop longtemps sur l'application mobile de LinkedIn parce qu'il n'y avait pas de thème sombre et le thème clair me gênait fortement. Quand le thème sombre est arrivé, ça m'a soulagée !

Je sais qu'il y a un gros débat entre le thème clair et le thème sombre1 . Étant directement impactée, je pense que les deux doivent être proposés sur les sites afin de donner le choix à l'utilisateur ou à l'utilisatrice en fonction de ses besoins. Nous ne savons jamais qui est derrière l'écran.

J'ai un ami sourdaveugle qui, lui, préfère le thème inversé ! Ni le thème clair, ni le thème sombre. Il se sent plus à l'aise quand il voit le texte en jaune avec un fond bleu2 . Il perçoit mieux le texte lorsque tout est en couleurs vives car le texte se distingue alors plus facilement.

J'avais découvert l'extension Dark Reader qui me permet d'afficher, par défaut, les sites en version sombre, même quand ils n'ont pas prévu ce thème. C'est très pratique mais n'est pas une solution miracle. Comme tout outil, il a parfois des ratés. Parfois, il rend le texte totalement illisible en appliquant des couleurs insuffisamment contrastées.
Un jour, j'avais fait un copier-coller d'un texte. Étant en thème sombre automatiquement, je voyais le texte en blanc et j'avais envoyé le mail. On m'a répondu que le texte était illisible. Effectivement, quand j'ai désactivé Dark Reader, le texte sous le fond blanc était en gris très clair. Pour m’en rendre compte, il aurait fallu que je vérifie que le texte reste lisible sans le plugin. Ainsi, cette extension a beau m'aider, elle m’impose une charge de travail supplémentaire.

Sur mon iPhone, configuré sur l'apparence sombre, j’utilise la fonctionnalité Afficher le lecteur quand je consulte un article qui n’a pas de thème sombre sur Safari. Le lecteur n'affiche que le texte, blanc sur un fond sombre, et les images. Cette fonctionnalité m’aide beaucoup et me permet de lire confortablement le contenu de la page. Je peux aussi aussi masquer les animations qui me gênent.

Avec ma cataracte, je me suis rendue compte que naviguer sur Internet présente quelques défis. Je suis régulièrement confrontée aux mêmes erreurs d’accessibilité :

  • si le texte n'est pas suffisamment contrasté, je le distingue très mal et j'ai des difficultés à le lire ;
  • si le texte ou la page est d'une couleur très vive, j'ai tout de suite une gêne oculaire ;
  • si les animations défilent à toute vitesse avec les couleurs éclatantes, cela me gêne énormément ;
  • si la page est toute blanche, j'ai une fatigue oculaire et une migraine qui se présentent au bout d'un petit moment.

Avant ma cataracte, je n'avais pas du tout ces soucis !

Sous-titres

Sur les réseaux sociaux, je ne supporte plus les vidéos sous-titrées n'importe comment. Quand les sous-titres ne sont pas suffisamment contrastés, sont de couleurs vives ou clignotent dans tous les sens, je zappe.

Pour l'édition 2019 des 24 jours de web, j'avais écrit l’article Comment bien sous-titrer vos vidéos ? À cette époque, il n'y avait pas ces effets. Les sous-titres étaient principalement en blanc avec un bandeau noir ou sans bandeau avec des contours noirs sur les caractères.

Puis, une mode pour animer les sous-titres est arrivée afin de rendre la vidéo « plus attractive ». En 2023, j'avais écrit un nouvel article Comment continuer à bien sous-titrer vos vidéos ? sur mon blog en constatant qu'avec ma cataracte je ne supportais plus les effets spéciaux sur les sous-titres. Ces effets me donnent des migraines et des gênes oculaires. Ils sont particulièrement distrayants, ce qui empêche de bien se concentrer sur le contenu de la vidéo.

Les sous-titres « ennuyeux » restent le meilleur moyen pour rendre les vidéos accessibles à tous et toutes.

Liquid Glass

J'ai un autre exemple tout récent avec la nouvelle interface des iPhones : Liquid Glass. Jusque-là, Apple était à la pointe sur les questions d'accessibilité. Quand Liquid Glass est arrivé avec ses interfaces ultra-transparentes avec effets de flou et d'animation, c'était une grande déception et surtout une régression en termes d'accessibilité. Tout d'un coup, mes écrans étaient transparents. Je discernais très mal les textes blancs sur les fonds transparents. L'illusion optique me perturbait.

J'ai dû modifier mes réglages dans les paramètres d'accessibilité (Réglages > Accessibilité > Affichage et taille du texte) pour réduire la transparence et augmenter le contraste. J'ai même coché « boutons avec contours » car je ne discernais plus les boutons.

Vous pouvez constater l'avant et l'après des réglages sur ces images :

Deux notifications mail sont affichés, on discerne à peine le texte blanc avec un fond transparent, façon <span lang="en">Liquid Glass</span>. En arrière plan, mon fond d'écran en photo avec deux robots.
Avant les réglages
Deux notifications mail sont affichées, on voit mieux le texte blanc avec un fond sombre après les réglages.
Après les réglages

La différence est très flagrante.

Ces changements ont été déstabilisants, il a fallu que je me réhabitue à ces réglages. D'ailleurs, je ne suis pas la seule à être perturbée par le Liquid Glass. De nombreux utilisateurs et nombreuses utilisatrices n'ayant pas forcément de handicap visuel ont critiqué la nouvelle interface parce qu'ils ne voyaient plus les textes à cause de leurs fonds d'écrans.

En appliquant ces paramètres, ça a eu un impact sur les applications qui n'ont pas pensé à les prendre en compte, comme le montrent ces photos avant/après lorsque je tente de choisir Sophie pour lui écrire un SMS :

Avant les réglages, on voit dans la liste de trois Sophie avec leurs numéros 06 masqués, la première est en bleu suffisamment contrastée et les deux suivantes en vert suffisamment contrasté. On voit bien les textes.
Avant les réglages
Après les réglages, on voit dans la liste de trois Sophie avec leurs numéros 06 masqués, la première est en bleu pas du tout contrastée et les deux suivantes en vert pas du tout contrastées. On discerne mal les textes.
Après les réglages

Après ces retours très critiques, Apple a décidé d'ajouter une nouvelle option teintée pour Liquid Glass dans la version d'IOS 26.1. Cette option ne peut pas être appliquée si on a les réglages « réduire la transparence » et « augmenter le contraste » cochés.

Malheureusement, la version teintée n’a corrigé qu’une partie du problème. Les notifications sont maintenant en version sombre se calant sur mon réglage « apparence sombre » par défaut alors qu'avant, c'était totalement transparent. Par contre, les groupes des icônes d'applications restent transparentes. Pour éviter ça, j'ai décoché la version option teintée et j'ai coché uniquement « réduire la transparence » pour éviter la transparence de ces groupes d'icônes. Comme l'apparence sombre est maintenant prise en compte sur mes notifications, je n'ai plus eu besoin de cocher « augmenter le contraste ». Je reste mitigée.

Surcouche d'accessibilité

Qu'est-ce qu'est un outil de surcouche d'accessibilité ? Voici une définition claire de l'agence Boscop :

Les surcouches d’accessibilité sont des applications qui s’intègrent sur un site existant, pour en modifier l’affichage, selon les paramètres choisis par l’utilisateur. Elles s’installent comme un simple plug-in ou module complémentaire, avec un script intégré dans le code. Les fonctionnalités de ces outils permettent donc de personnaliser l’affichage des pages, par exemple en accentuant le contraste des couleurs ou en agrandissant la taille du texte.

J'ai évidemment testé certains outils de surcouche d'accessibilité pour mettre le thème sombre ou utiliser l'option cataracte. Cela ne m'a pas du tout aidée.

Sur certains sites ayant ces outils, en appliquant les options, cela donne des résultats un peu bizarres.

Par exemple, l'option thème sombre devrait être appliquée sur toute la page. Au lieu de ça, ce n'est appliqué que sur les paragraphes et titres. Souvenez-vous, le blanc me gêne. Une mixité du noir et du blanc comme vous pouvez le constater sur cette capture d'écran n'aide pas.

Sur la page Infos pratiques, l'arrière-plan de la page est de couleur blanche, on ne voit des blocs noirs que sur des paragraphes et titres. La couleur du texte ne change pas.

De plus, il y a quelques soucis de contrastes.

Il y a deux gros blocs noirs : on discerne bien le titre en vert Comment me rendre à l'événement de vendredi et en dessous, on ne peut pas lire le texte qui est de couleur marron

Je préfère largement utiliser l'extension Dark Reader, qui bien qu'imparfaite est plus efficace que les surcouches d'accessibilité. D'autant que les surcouches d'accessibilité ne sont pas conformes au Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA), elles ne permettent pas de rendre accessible un site internet dans sa globalité.

Nouveau regard sur l’accessibilité numérique

Ces obstacles m'ont permis d'aborder l'accessibilité numérique d'une autre manière parce que j'ai été directement impactée. En accessibilité numérique, on met souvent l’accent sur les lecteurs d’écrans ; mais ça ne se résume pas à ça.

Quand j’ai commencé ce métier, je ne pouvais pas prévoir que j’aurais la cataracte. Ce handicap temporaire a changé ma façon de naviguer sur Internet.

J’étais déjà très attentive à l’accessibilité numérique mais je le suis encore plus depuis que j'ai la cataracte. Cela m’a fait prendre conscience que tous ces critères du RGAA ont une utilité. Il y a une centaine de critères à respecter et je trouvais cela très fastidieux. Avec du recul, je sais que c'est nécessaire parce qu'ils permettent de couvrir l'ensemble des handicaps et des besoins. Quand une personne débute dans l'accessibilité numérique, tomber sur une centaine de critères peut être décourageant. C'était le cas à mes débuts.

Selon l'Observatoire du respect des obligations d'accessibilité, seulement moins de 5 % des sites web sont accessibles pour les personnes handicapées et selon WebAIM, l'erreur la plus fréquente est le manque de contraste sur les textes !

En voyant tous ces chiffres, en tant que développeuse, je n'hésite plus à partager mon expérience. Ça a renforcé ma détermination à sensibiliser les acteurs et actrices du web sur la nécessité de rendre accessibles les sites web à tous et toutes et de collaborer avec ces personnes. Ce ne sont pas l'intelligence artificielle, les extensions comme Dark Reader ou les surcouches d'accessibilité qui vont corriger les erreurs d'accessibilité sur les sites web.

Conclusion

L'accessibilité ne doit pas être une option mais une nécessité surtout qu'elle concerne douze millions de personnes handicapées3 sans compter les personnes âgées et les personnes en difficulté avec le numérique (illectronisme). Face à internet, il est important de ne pas se retrouver en situation de handicap4 .

Chaque critère RGAA a du sens. Il est nécessaire de ne pas en négliger car le handicap, qu’il soit permanent ou temporaire, peut survenir n’importe quand chez n’importe qui. Je ne m'attendais pas à développer une cataracte si tôt et pourtant elle est là, présente jusqu'à une opération qui se fera le moment venu. Je n'aurais pas besoin de toutes ces adaptations si le web était totalement accessible.

Je plaisante en disant que, grâce à ma cataracte, j'ai développé un nouveau super-pouvoir : je repère tout de suite les mauvais contrastes en consultant un site internet. Pas besoin de vérifier si c'est conforme, mes yeux font le boulot.

  1. Je vous invite à lire l'article de l'agence Front Guys qui explique les différences entre ces deux thèmes et à qui ça en profite.
    Stéphanie Walter déconstruit également le mythe comme quoi le thème sombre est utile pour l'accessibilité sur son article. Retour au texte 1
  2. Ce thème est particulièrement utilisé par le Cresam notamment pour les personnes sourdaveugles ayant le syndrome d'Usher dans ses outils.
    Vous pouvez voir un exemple de ce thème sur le site d'Access42. Pourquoi ce choix ? "Le but dans ce cas n’est pas de faire beau, mais de compenser une déficience visuelle très particulière. En effet, ce type de contraste permet de limiter la fatigue visuelle." Retour au texte 2
  3. C'est un chiffre sous-estimé. On ne prend pas en compte les personnes qui ne veulent pas déclarer leur handicap, de peur d'être discriminée ou stigmatisée. Nous avons également des personnes qui sont en cours de diagnostic de leur handicap, qui peut être long et fastidieux, ou encore des personnes qui ne savent pas qu'elles ont un handicap. Retour au texte 3
  4. Etre en situation de handicap est différent d'être une personne handicapée. Je peux être handicapée et être en situation de handicap. Si l'outil m'est accessible, je ne suis plus en situation de handicap car je peux l'utiliser sans problème. Retour au texte 4

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