Une application qui sauve des vies… et change la nôtre
Aujourd’hui, je vais vous raconter comment nous avons créé notre première application responsable, low-tech et éco-conçue.
Une demande surprenante
Il y a quelque temps, nous avons eu à répondre à un cahier des charges un peu particulier. Adrien, un jeune diplômé, amoureux du Ghana est venu nous voir avec un besoin qui n’avait pourtant rien de révolutionnaire au premier abord : permettre aux jeunes ghanéens d’accéder à des cours d’université en ligne.
Au Ghana, la problématique est qu’il n’y a qu’une place physique à l’université pour quatre étudiants. La solution, Chalkboard Education, qu’on a imaginée avec cet entrepreneur était donc de créer une plate-forme qui leur permettrait non seulement d’étudier à distance, mais aussi de valider leur progression et donc, à terme, d’acquérir un diplôme à distance, reconnu par l’université.
C’est au fur et à mesure de l’avancée du projet que nous avons été contraints par les spécificités du marché ghanéen, si différentes de nos standards européens :
- 50 % de la population a un smartphone mais ils ne sont pas tous de la dernière génération ;
- La connexion Internet est chère ;
- La connexion Internet n’est pas toujours fiable.
Nous avions donc à construire une application qui puisse fonctionner sans Internet et sur des mobiles qui ne sont pas très performants. Notre travail allait en plus, avoir un impact social important. Autant vous dire qu’on a trouvé que c’était le projet le plus stimulant du monde. :)
Imaginer des solutions adaptées aux contraintes
Le téléchargement des cours
Nous sommes partis sur la création d’une Progressive Web App (PWA) permettant de mettre tous les cours dans un LocalStorage (un des systèmes de cache dans le navigateur) et rendrait donc accessibles les documents, même sans connexion. Les étudiants n’avaient à se connecter qu’une fois au départ pour avoir accès au contenu, mais n’étaient pas tenus d’être en ligne toute la journée.
L’avantage d’une PWA est qu’elle peut s’installer sur un écran d’accueil comme une application native et elle est en général dix fois moins lourde. Gardons à l’esprit que les étudiants n’avaient pas des smartphones de la dernière génération sous la main. Elle est disponible pour tout OS et nous l’avons donc conçue avec une approche mobile first, d’abord pensée pour un écran mobile, et offline first, pour fonctionner hors ligne dès lors que l’interface et les contenus sont téléchargés et mis dans le cache du navigateur.
La question de l’accès aux cours d’université en mode déconnecté était donc résolue.
La validation du suivi
La validation de la progression en revanche était plus complexe à imaginer. Nous devions permettre aux étudiants de montrer qu’ils avaient fini un cours pour avoir accès au suivant. Pas de boutons en ligne puisque pas de connexion… L’étudiant avait donc un bouton qui envoyait un SMS à un certain numéro. Le SMS était ensuite récupéré par une application côté serveur. Le cours était déjà en « cache » dans le navigateur de l’utilisateur, le SMS ne contenait qu’un moyen d’accéder au contenu qu’il avait déjà chargé au préalable. Astuce pour déclencher l’ouverture de l’application d’envoi de SMS : nous avons utilisé le scheme sms://
en URL d’un lien.
La prise de recul sur notre façon de travailler
Pendant toute la période de développement de cette application, nous avons testé ses avancées sur un modèle de smartphone utilisé par ces étudiants. Nous avons petit à petit découvert (oh surprise !) tout ce qu’il était possible de faire avec une capacité de mémoire réduite et un réseau internet inexistant.
Ignorance des enjeux
C’est en travaillant différemment que nous avons pu toucher du doigt l’ampleur de notre ignorance face à la pollution liée au numérique. Nous consommons sans connaître les ressources nécessaires dans ce secteur comme dans d’autres (vêtements, alimentaire, meubles, objets en tous genres, souvent trop rapidement jetés, etc.). La pollution numérique est virtuelle et donc difficile à imaginer pour beaucoup, parce qu’elle n’est pas palpable. Nous ne la sentons, ni ne la voyons aussi clairement que les sacs en plastiques qui obstruent les poumons des tortues. Le numérique représente aujourd’hui près de 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiaux.
Prise de conscience des réalités
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas l’usage d’Internet, nos mails ou même Netflix qui sont à l’origine de la majorité de la pollution liée au numérique, mais la production toujours en pleine expansion des terminaux, tablettes, smartphones, ordinateurs et autres objets connectés. Même si l’idée d’une smart city peut sembler alléchante au premier abord, a‑t-on vraiment (honnêtement ?) besoin d’une brosse à dent, d’un pommeau de douche ou même d’un préservatif connecté ? Un smartphone fait quatre fois le tour de la terre avant d’arriver, neuf, dans notre poche, pour Noël par exemple. ;-)
Nous avons pris conscience que même nous, professionnels du Web, nous découvrions ces aspects après de nombreuses années à travailler dans ce secteur. Il nous a semblé important d’en apprendre davantage pour avoir à l’esprit les chiffres qui concernent directement notre métier. Nous avons mieux compris ce qu’il se passait dans notre secteur et surtout, comment nous, professionnels, pouvions agir concrètement pour changer certaines choses à notre humble niveau.
Pour être succincts, c’est l’extraction des métaux et des terres rares dans les endroits reculés de la planète qui sont une source monumentale de pollution. Des régions entières sont dévastées par une extraction dangereuse de métaux rares, souvent effectuée par des enfants (40 000 en République Démocratique du Congo d’après l’Unicef) pour tous nos objets connectés, smartphones, etc. Ces objets sont ensuite conditionnés à des milliers de kilomètres, pour enfin retraverser la planète et parvenir jusqu’à nous. Ce cycle de vie est reproduit à chaque fois que nous changeons de téléphone, tablette, écran tactile, écran plat 4 ou 8k, etc.
Comment pouvons-nous changer les choses ?
Or, et c’est justement cela qui nous a sauté aux yeux avec notre client, quand nous changeons de smartphone, l’ancien fonctionne en général toujours. Oui, il est d’ailleurs rangé avec les anciens chargeurs et les trois derniers portables que nous gardons « au cas où » dans la boite avec tous les câbles qui ne se brancheront plus jamais nulle part… Nous changeons de téléphone parce qu’il rame, pas parce qu’il ne fonctionne plus. Pourquoi rame-t-il ? Parce que les contenus que nous lui demandons de charger quotidiennement sont de plus en plus lourds. Ce n’est pas fait volontairement, c’est simplement qu’on ne prenait jamais ce critère de taille de contenu en compte dans notre environnement avec de la 4G partout, des forfaits « illimités » et des téléphones dernière génération.
Après ce travail de formation et de prise de conscience un peu violente est venue l’heure des solutions à mettre en place dans notre travail au quotidien. Comment faire en sorte de garder plus longtemps nos terminaux ? Les réparer, ne pas les surcharger (oui oui, l’appli Ameli qui se met à jour tous les mois et qu’on ouvre 2 fois par an…), les utiliser correctement et acheter du matériel déjà reconditionné plutôt que d’aller chercher du neuf de façon systématique. Ce sont des premières pistes. Le fait d’avoir ce critère environnemental en tête change déjà notre façon de consommer, sans que cela ne devienne vraiment une contrainte.
Notre travail au quotidien
Nous sommes maintenant attentifs au poids des applications métiers que nous développons. Ce critère supplémentaire a rendu nos produits plus sobres et souvent plus pertinents et plus précis. Le besoin utilisateur est plus approfondi pour y répondre exactement sans ajouter de fioritures. Cela rend les ateliers avec nos clients très stimulants et nous ouvre des portes créatives que nous avions un peu perdues de vue. Par exemple, si une application est mobile first (optimisée d’abord pour un usage mobile), les photos en ultra HD ne sont sans doute pas indispensables, la performance est soudainement améliorée.
De la même façon, quand on creuse un peu tout ce que prend en compte le numérique responsable, nous avons aussi à faire attention au fonctionnement de nos applications, à l’instar des utilisations des données utilisateurs. Remplacer Google Analytics par Matomo par exemple permet d’anonymiser les données privées. Par conséquent, pas de pop-up pour demander le dépôt de cookies, puisqu’on a seulement des infos anonymes, tout cela avec l’aval de la CNIL. De plus, aujourd’hui 15% de la population n’est pas à l’aise avec le numérique. On parle d’illectronisme. Notre but est donc d’améliorer l’accessibilité des sites. Cela permet à nos clients d’avoir un parcours utilisateur optimisé pour tous et même un taux de transformation plus important. Que du bonus.
Une fenêtre avec vue sur un futur souhaitable
Ce travail sur cette application nous a servi à ouvrir notre façon de penser notre métier, à savoir créer des outils de qualité sans forcément qu’ils soient lourds, gras ou trop complexes par rapport à ce qu’ils apportent vraiment à nos utilisateurs.
L’application Chalkboard Education tourne toujours en Afrique, grâce à Nii, le développeur ghanéen que nous avons accompagné pour la prendre en main et qui la gère maintenant de façon parfaitement autonome. Cela faisait aussi partie de notre travail : transmettre les informations et la documentation pour permettre au projet d’être résilient et à l’organisation d’être indépendante après notre collaboration. Nous avons maintenant des contacts uniquement pour prendre des nouvelle et voici ce que nous disait Adrien il y a quelques semaines au sujet de son application :
« Aujourd’hui, on forme 12 000 personnes chaque année et pas seulement au Ghana. La plupart des utilisateurs sont des professeurs d’école primaire, des fermiers et des sages femmes. Au Rwanda, notre client, une ONG, va évaluer le nombre de bébés qui ont été sauvés grâce à la formation mobile.
L’impact est énorme ! »
2 commentaires sur cet article
Bertrand Keller, le vendredi 20 décembre 2019 à 09:52
Salut Hélène,
C’est vraiment super ce que vous faites chez Fairness. Difficile d’imaginer que ce genre de structure responsable puisse exister dans ce monde axer sur les bénéfices.
Le projet est top, mais attention, LocalStorage n’est pas un moyen sécurisé de stocker de la donnée. C’est facile à utiliser mais ne protège pas les données de l’utilisateur. Il y a moyen de stocker la donnée d’un autre manière sur les navigateurs.
Yaacov Cohen, le vendredi 20 décembre 2019 à 10:55
Superbe article, beau projet et bel impact. Bravo !