Concevoir un service numérique responsable dans une organisation produit
Comment passer de l'engagement de principe à une action collective d'entreprise ? Cet article est un retour d'expérience pour un produit grand public, SNCF Connect, sur la stratégie numérique responsable mise en place au sein de son organisation Design et Produit.
Un service numérique responsable, c’est quoi ?
Un service numérique responsable est une solution numérique qui vise à être utile, sobre, accessible et respectueuse, en tenant compte de ses impacts sur l’environnement, les utilisateurs et la société.
Un service numérique responsable repose sur quatre piliers fondamentaux :
- L’accessibilité : garantir que les services numériques soient utilisables par tous, indépendamment des capacités physiques ou cognitives des utilisateurs.
- La sobriété : minimiser l'empreinte environnementale des services numériques en réduisant leur consommation d’énergie et de ressources tout au long du cycle de vie.
- La confidentialité : assurer la protection des données et éviter toute exploitation abusive des informations personnelles.
- Le respect des libertés : concevoir des services numériques éthiques et non intrusifs, sans manipulation des utilisateurs.
Ces principes de conception s’appuient sur des référentiels concrets, soutenus par des acteurs publics tels que l'Arcep1 , l'Arcom2 , l'ADEME3 et la DINUM4 . Ces organismes ont développé des cadres réglementaires et des bonnes pratiques pour guider les entreprises et les institutions.
Parmi ces référentiels, certains existent depuis plusieurs années, comme le RGAA5 ou le RGPD6 . D'autres sont plus récents, comme le RGESN7 , publié en 2024 par l'Arcep et l'Arcom, qui remet au centre de l’attention les enjeux d’écoconception.
Il est donc à noter que concevoir un service numérique responsable n’est plus seulement un engagement moral ou une initiative portée par une communauté engagée, mais bien un enjeu réglementaire et stratégique à long terme.
Un engagement de cohérence pour le produit SNCF Connect
Chez SNCF Connect & Tech, notre raison d’être « Innover pour rendre les mobilités durables accessibles à tous » guide l’ensemble des actions. Elle traduit notre volonté de concevoir des solutions numériques plus responsables, inclusives et sobres.
S'engager dans la mise en place d'une stratégie numérique responsable, pour un service grand public comme SNCF Connect, se trouve à la conjoncture de trois enjeux :
- Alignement à la mission d'entreprise : favoriser les mobilités et comportements durables au travers d'un produit numérique accessible, sobre, respectueux de la vie privée.
- Alignement à la responsabilité numérique de l'entreprise : développer un service numérique tout en prenant en compte ses impacts à court et long terme sur ses utilisateurs et la société.
- Alignement à la responsabilité professionnelle des métiers du numérique : agir en concordance avec les engagements éthiques des métiers du numérique.
Bonnes pratiques d'une stratégie numérique responsable
Au-delà de l’ambition, comment déployer ces engagements ? La suite de cet article présente les différentes actions de notre stratégie numérique responsable, éprouvées sur ces six dernières années, dans une organisation produit. Cette stratégie sera illustrée par la mise en place de l'écoconception numérique — le concept pouvant se décliner sur les différents piliers du numérique responsable.
Stratégie d'entreprise
Bonne pratique : définir les engagements numérique responsable par directions.
Relier les actions des métiers à une stratégie d'entreprise est un élément clé. À ce titre, nous avons engagé une démarche de labellisation numérique responsable8 , qui nous a permis d'auditer nos pratiques actuelles, d'engager des ambassadeurs par directions et d'identifier les actions clés à mener sur une période de trois ans. Cette initiative nous a permis de créer une dynamique collective, et un cadre d'action clair et partagé en mobilisant le comité de direction et les équipes. C'est une action essentielle pour inscrire la démarche dans la durée, avec les bonnes ressources associées.
Gouvernance
Bonne pratique : identifier des ambassadeurs et experts métiers.
Sans acteur clairement identifié, pas d'actions concrètes ! Notre gouvernance s'est construite dans le temps et sur plusieurs niveaux :
- à l'échelle des directions, par l'identification d'ambassadeurs en charge de suivre ou de conduire les actions numérique responsable ;
- à l'échelle de l'équipe « Produit, Marketing et Commerciale », avec des experts Design et Tech, spécialisés sur les enjeux d'accessibilité et d'écoconception. L'équipe a notamment mis en place un dispositif de « référents » qui conduisent des actions de formation, de mesure, de conception et d'audit.
Formation
Bonne pratique : former les métiers pour une base de compétence commune.
Les compétences dites « numérique responsable » — à savoir accessibilité, écoconception, vie privée — sont des expertises pointues et parfois de niche. Il est important de pouvoir les démocratiser à tous les métiers qui interviennent dans le produit : product designer / product manager / développeur… C'est une action que nous menons dans les équipes pour permettre une montée en compétence collective et ainsi avoir de réelles applications dans les phases de delivery et discovery des parcours. De même, il est essentiel d'embarquer les métiers de la communication et de la régie (visuels, publicités…) pour démocratiser l'approche aux autres départements.
Processus et outils
Bonne pratique : intégrer l’écoconception à chaque étape du cycle produit en delivery et discovery.
Après la formation, il faut outiller les équipes au quotidien pour permettre une réelle adoption et action des bonnes pratiques d'accessibilité et écoconception. Cela demande d'actualiser le processus delivery par :
- la mise en place de nouveaux outils — comme une checklist écoconception et design review pour s'assurer de la conformité du parcours par les products designers ;
- l'actualisation des process produit — notamment la création de labels accessibilité et écoconception sur JIRA (le fameux) permettant aux équipes de prioriser ces actions ;
- la mise en place de mesure par domaines produit — avec l'outil Fruggr permettant de suivre des mesures précises de temps de chargement, poids de page… sur les parcours clés du produit
- par la réalisation d'audits de conformité de notre accessibilité et écoconception — RGAA sur le web, RAAM9 sur mobile, et RGESN — pour s'assurer de la bonne conformité du produit numérique et identifier les actions d'amélioration dans notre démarche de déclaration d'accessibilité et d'écoconception.
Toutes ces actions sont à mener de manière conjointe avec les équipes DesignOps, ProductOps et Tech pour les ancrer durablement dans les processus et outils des équipes.
Action
Bonne pratique : développer des projets pilotes pour tester et améliorer les parcours.
Pour concrétiser les engagements numérique responsable, nous avons mis en place des projets pilotes permettant d'appliquer l’écoconception sur des cas concrets. Ces projets permettent aux métiers d’expérimenter et d'intégrer les bonnes pratiques progressivement, pour ensuite les adopter à grande échelle. Cette approche est à adopter en fonction du niveau de maturité des équipes et de la discipline à intégrer au processus de conception. C'est par des expérimentations répétées que ces bonnes pratiques s'ancrent dans le référentiel des métiers et des équipes.
Mesure
Bonne pratique : mesurer et analyser l’impact de nos services au travers de référentiels d'État.
Pour améliorer en continu les parcours, il est nécessaire de réaliser des audits réguliers. Sur une temporalité annuelle, nous nous basons sur les référentiels d'État :
- concernant l'accessibilité, un groupe d'experts conduit des audits RGAA/RAAM annuellement ;
- concernant l'écoconception, nous expérimentons le RGESN au travers d'un audit interne pour nous situer sur le score d'avancement et définir les processus à mettre en place pour amélioration.
Ces audits sont complétés par une mesure plus quotidienne par domaines, avec des outils dédiés comme Fruggr. Ces actions de mesures sont nécessairement à raccrocher à un objectif à long terme de l'entreprise — avec une ambition de score d'avancement et d'OKR10 dédié pour en faire une réelle démarche collective et d'entreprise.
Voici un modèle de bonnes pratiques à appliquer en fonction du niveau de maturité de votre organisation. Toutes les étapes ne se sont pas nécessairement à faire dans un ordre chronologique. Chaque contexte est différent, en fonction de l'équipe, des expertises présentes, et des moyens à disposition. L’objectif est de cibler la première action qui semble la plus évidente à mettre en place à court terme et de nourrir les suivantes.
Pour se lancer : convaincre de la valeur de la responsabilité
Cette stratégie vous donne des premières clés et vous voulez vous lancer ! Au-delà des bonnes pratiques, il faut avant tout convaincre les parties-prenantes de s’engager. Voici quelques arguments pour montrer la valeur de la démarche.
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Une amélioration de l’expérience utilisateur : par la montée en exigence sur des principes d'expérience tels que l’écoconception, l'accessibilité, RGPD… le parcours utilisateur et les éléments de l’interface participent à une meilleure utilisabilité du service pour les usagers.
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Anticiper les régulations gouvernementales : en France, la loi REEN11 (loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France) a été adoptée en novembre 2021, et vise à faire converger la transition écologique et la transition numérique. Des référentiels d’État tels que le RGESN ou le RGAA amènent à publier des déclarations d’accessibilité et d'écoconception.
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Réduction des coûts : un service numérique optimisé apportera une économie directe sur les frais d’infrastructure (espaces d’hébergement, utilisation de la bande passante…), particulièrement sur les produits à fort trafic. Concernant l'accessibilité et le RGPD, c'est avant tout éviter des amendes de non-conformité.
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Augmenter la valeur de marque : face aux dérives du « greenwashing »12 , les marques sont scrutées dans l’ensemble de leur politique. La prise en compte des préoccupations de numérique responsable dans la conception des services numériques accentue l’image d’une marque non seulement engagée mais aussi cohérente.
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Un levier d’engagement interne : le numérique responsable est un fort levier interne de motivation pour les métiers du numérique. Face aux enjeux environnementaux et sociaux actuels, ce défi permet aux équipes de se mobiliser autour de valeurs fédératrices et d’être fières de leurs contributions.
- Arcep, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse Retour au texte 1
- Arcom, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique Retour au texte 2
- ADEME, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie Retour au texte 3
- DINUM, Direction interministérielle du numérique Retour au texte 4
- RGAA, Référentiel Général d'Amélioration de l'Accessibilité Retour au texte 5
- RGPD, Règlement Général sur la Protection des Données Retour au texte 6
- RGESN, Référentiel Général d'Écoconception des Services Numériques Retour au texte 7
- Label Numérique Responsable : pourquoi et comment labelliser ? Retour au texte 8
- RAAM, Référentiel d’évaluation de l’accessibilité des applications mobiles Retour au texte 9
- Méthode de gestion utilisée pour définir et faire le suivi d'objectifs et résultats. Source : Wikipédia Retour au texte 10
- Loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France Retour au texte 11
- Guide anti greenwashing de l'ADEME Retour au texte 12
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