S’investir dans les communautés quand on n’ose pas
Il y a quelques années, lors d’un dîner de vieux du web, j’avais évoqué ma première participation à Paris Web (2009) en disant que j’étais globalement restée dans mon coin sans vraiment parler à personne. Un ami présent m’a regardée étonné : « Toi ? Timide ? Non, je ne le crois pas. »
Et pourtant si. Ne connaissant personne et n’ayant aucun sujet particulier sur lequel engager la conversation (à part « j’aime beaucoup ce que vous faites »), j’ai suivi Paris Web comme un zombie, mais avec un fort intérêt. Une chose était sûre, j’avais fait un premier pas dans la machine communautaire et je ne comptais pas en repartir.
Paris Web n’était pas ma première incursion dans le milieu, j’avais déjà fait des tentatives par le passé (je suis dans le web et dans le numérique depuis 1997 ; ça fait un bail). Vers 2004, je me souviens m’être inscrite sur le forum d’Alsacréations, mais aussi avoir été membre d’un truc nommé Affinitiz (sorte d’ancêtre de Slack ou Discord) où j’ai créé une communauté nommée « Webmasters éditoriaux », et surtout d’avoir tout laissé tomber parce que ça ne m’apportait pas grand chose.
Ce qui avait changé avec Paris Web, c’était sans doute le présentiel qui offrait une nouvelle perspective : on voit des gens en vrai et ça foisonne pendant deux jours. Et puis sur la fin de l’événement, j’ai eu une petite discussion avec LA personne1 qui m’a redonné l’envie de faire et m’a confirmé que j’aimais ce milieu (même si je n’aimais pas mon job à ce moment). Je me suis promis que j’allais moi aussi prendre part à tout ça. Je ne savais juste pas comment.
À l’époque, il n’y avait aucun guide pour aider les nouvelles et nouveaux qui auraient aimé participer d’une façon ou d’une autre. Le monde était un peu en mode Yoda : « fais-le ou ne le fais pas, il n’y a pas d’essai ».
Alors, désolée maître Yoyo, mais un petit coup de pouce pour me guider dans ce qu’il était possible de faire aurait été le bienvenu. Et en voyant resurgir récemment ces questions dans mon entourage, j’ai eu envie de partager mon expérience.
Le sujet est vaste, mais j’ai décidé de ne donner que les points d’entrée les plus simples et les plus abordables. Exit donc les « et si j’écrivais un livre ? », « et si je créais un logiciel machin ? » ou encore « et si je devenais une star vulgarisatrice sur YouTube ? ».
Parées à vous lancer ?
Petites portes et petites mains
Les communautés en ligne
Il en existe des tas, sur tout un tas de plates-formes (forums, Discord, Slack, Element, etc.). Elles sont la porte la plus facile à franchir, à condition de ne pas entrer n’importe où.
Commencez par demander autour de vous.
- Où vos collègues ou pairs sont-ils inscrits ?
- Quelles communautés recommandent-ils ?
N’hésitez pas à chercher des avis pour éviter les environnements toxiques ou les groupes devenus inactifs. Une fois votre choix posé, inscrivez-vous et observez ce qui se passe :
- La communauté est-elle active ?
- Les sujets abordés sont-ils intéressants ?
- Les anciens sont-ils accueillants ?
Si oui, bingo, vous êtes au bon endroit. Prenez votre temps pour vous sentir à l’aise et commencez à publier vous aussi. Ça peut démarrer simplement par une ressource trouvée qui vous semble intéressante, une réponse à une question posée par autrui ou une question que vous souhaitez poser.
Si vous doutez de votre légitimité à apporter votre grain de sel, privilégiez les réponses portant sur votre retour d’expérience (par exemple : « j’ai eu le même souci, j’ai fait ça et ça a marché. Essaye et tiens-moi au courant. »). Notez que beaucoup de gens sur ces groupes ne sont pas spécialement actifs et ne font que consulter ce que disent les autres. Si vous faites de même, vous ne passerez nullement pour une personne impolie. Et puis rien ne vous oblige à publier ou répondre selon un rythme précis. Faites selon votre humeur.
Si une communauté vous semble endormie ou que vous ne voyez pas trop ce que vous pourriez y apporter, n’hésitez pas à appliquer la règle des deux pieds : allez voir ailleurs.
De même, si vous avez le moindre doute quant à l’altruisme ou l’intégrité des membres, fuyez sans états d’âme.
Les conférences (mode équipe)
Pas de panique, je ne vous propose pas ici de présenter un sujet devant une audience mais de prendre part à son organisation. Le nombre de conférences en France a pas mal augmenté et la plupart cherchent des bénévoles pour le jour J.
Le syndrome de l’imposteur n’a pas sa place ici car vous serez surtout de petites mains chargées de gérer l’accueil, distribuer les badges, courir dans l’amphi pour donner le micro aux participants ou servir le café au buffet. Comme vous le voyez, rien de bien compliqué mais cela vous permettra de faire un premier pas dans une communauté.2
Qui sait, avec le temps, vous vous sentirez peut-être assez à l’aise pour vous impliquer un peu plus dans l’organisation au delà du jour J.3
Des projets simples en veux-tu, en voilà
Quand on parle contribution, on pense souvent projets libres ou open source. On pourrait alors croire qu’il n’y en a que pour les développeurs, mais en fait non.
Les projets libres sont ouverts à de nombreux profils, y compris ceux qui n’ont aucune connaissance technique. Quelques exemples pour démarrer :
Common voice de Mozilla
En quoi ça consiste ? Juste à enregistrer votre voix en lisant les phrases proposées sur votre écran. Rien de plus. Le but est de faciliter la diversité des voix, tons, accents ou prononciations pour l’élaboration de systèmes vocaux. Cela prend deux minutes si vous faites juste le petit jeu de textes proposés.
Street Complete pour OpenStreetMap
Là encore, un projet où il n’est nullement besoin de se triturer le cerveau sur votre légitimité. Si vous êtes adepte des petites balades en ville, vous êtes apte à participer. Lancez l’application, celle-ci va vous proposer de compléter des éléments de type : y a-t-il un passage piéton ici ? Ou un abribus ? Les horaires de ce bar sont-ils toujours corrects ? Rien de bien sorcier.
Allez piocher sur Contribulle
Ce sympathique site a pour vocation de recenser des projets qui ont besoin d’aide, et des personnes (comme vous) qui aimeraient contribuer mais ne savent pas à quoi. Développement, graphisme, traduction, communication, relecture, il y en a pour tous les goûts. Le site liste également des idées faciles de contributions.
Le sinistre syndrome d’Alain Posteur
Vous le connaissez. Non, pas Alain, mais son syndrome. Ce satané syndrome qui nous fait douter de tout : notre capacité à faire, notre expertise, notre savoir-faire. D’ailleurs, les points listés ci-dessous devraient vous parler :
- Suis-je légitime pour faire ?
- Qu’est-ce que j’ai à dire ?
- J’ai 25 ans et j’ai l’impression de n’avoir rien foutu de ma vie ! (marche à tout âge autre que 25).
- J’ai proposé un truc mais je ne sais pas par quel bout commencer !
Notez que les questions 1, 2 et 3 sont souvent liées.
Moi aussi je me suis posé ces questions. Pas vraiment la première, mais la deuxième (donner une conf c’est cool mais sur quel sujet ?), la troisième (pas à 25 ans mais bien plus tard quand il a fallu changer de job) et la quatrième (je crois que j’ai fui pas mal de projets sur lesquels je m’étais engagée à apporter mon expertise en UX Design, oups). J’ai fini par faire la paix avec tout ça et surtout avec moi-même concernant ma participation à des trucs divers et variés. Ça a pris du temps, mais je n’ai aucun regret.
J’ai fini par comprendre (vers 2018) que je ne doutais pas personnellement de mes capacités mais que j’évoluais dans un environnement professionnel qui me faisait douter. Ce milieu n’hésitait pas à user de mauvaise foi ou de remarques désagréables. Dans ces boîtes, initiatives ou autonomie étaient des gros mots. Faire quelque chose, c’était toujours empiéter sur les plates-bandes de quelqu’un qui allait alors chouiner auprès d’un chef, lequel chef me convoquait dans son bureau pour me faire les gros yeux. Parce que, oui bien sûr, j’étais toujours celle à blâmer, les autres avaient le droit de râler.
En changeant de boîte, j’ai fini par trouver mon équilibre. Sauf que tout le monde n’a pas cette opportunité. Et c’est là où justement, être dans une communauté qui nous plaît peut nous aider à surmonter un environnement professionnel pénible ou toxique.
Vous ne signez pas pour la vie
On ne le répète pas assez mais s’investir dans une communauté ne signifie pas s’engager à vie.
Si je prends mon propre parcours :
- J’ai commencé tard, après 40 ans : il n’y a pas d’âge pour se lancer.
- J’ai fait des pauses de plusieurs années : personne ne m’en a tenu rigueur.
- J’ai pris le temps de réfléchir avant de revenir.
- J’ai repris un projet… mais j’aurais tout aussi bien pu m’arrêter là en me disant : « J’ai fait ma part, et j’en suis fière. »
Contribuer peut être ponctuel, bref, ou unique. Une journée, une heure, une envie passagère : tout cela compte. Il n’existe aucun engagement minimum, aucune obligation de durée.
Le projet le plus important : vous
Je souhaite conclure avec ce point essentiel.
Avant de vous engager quelque part parce que « tout le monde fait ça » ou parce que « c’est indispensable dans mon milieu », n’oubliez pas de penser à vous avant tout.
Ne vous forcez pas à aller là où vous n’avez pas envie. Si vous vous sentez mal à l’aise, n’hésitez pas à mettre en pause ce que vous faites pour prendre soin de votre santé. C’est comme ça qu’on peut reconnaître les groupes bienveillants. Ce sont ceux qui vous demandent régulièrement des nouvelles, notamment lors de réunion de travail. Tous hélas ne sont pas aussi compréhensifs.
Conclusion
Au fond, contribuer, c’est proposer des choses, un petit pas après l’autre, selon son énergie, son temps et ses envies. Il n’y a pas de bonne manière de faire ou de parcours idéal. Il y a vous et ce que vous avez envie d’apporter, même si cela vous semble minuscule. Les communautés se construisent aussi grâce à ces petites touches, pas seulement grâce aux experts.
Si vous avez envie de tenter quelque chose, faites-le. Si vous avez besoin de souffler, faites-le aussi.
L’important n’est pas de réussir sa contribution, mais d’y trouver du sens, du plaisir et même un peu de réconfort.
Alors allez-y : poussez une petite porte, observez, testez, bidouillez, participez… ou pas. Vous resterez toujours aux commandes. Et qui sait ? Vous pourriez bien, un jour, être la personne qui donnera à quelqu’un d’autre l’élan qu’on vous a donné.
- Elle se reconnaîtra, si si. Retour au texte 1
- Par contre, n’y allez pas en vous disant que c’est un bon plan pour assister à une conférence chère sans rien payer. Retour au texte 2
- Je l’ai fait en 2011 pour Sudweb (et j’ai fini par tenir la trésorerie et la logistique parce que ça me paraissait totalement dans mes cordes). Retour au texte 3
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